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    Danse sans te perdre

     

     

     

    Parce c'est la force qui émane d'elle

    Et qu'il lui est impossible de s'en séparer,

    Accepte même tous ces souvenirs noyés

    Qu'il te faudra effacer de plus belle.

    Si là est la force ultime d'une larme,

    Alors empêche toi de faire pleurer ton âme.

     

    J'observe souvent les gens sous la pluie,

    Les cheveux voilant froidement leurs visages.

    Elle qui ne connaît ni jour ni lumière,

    Jonchant, sur des dizaines de mètres, le parterre,

    Pourquoi ne lui offre-t-on jamais le moindre sourire ?

    Les larmes célestes et les autres veulent mourir...

     

    Cette danse, je ne me souviens plus qui l'a inventé.

    Mêlant amertume, amour, haine, et regrets...

    Dans cette volée je n'engage que la musique.

    Bien que voir des perdus tourner en rond

    Ne me fait ressentir aucune piètre leçon

    A leur donner, ni le moindre apitoiement,

    Le tempo suffit à mon contentement.

     

     

    Parce c'est la force que j'ai inculqué en elle

    Qui a de l'emprise sur moi, mon corps frêle

    S'engagera dans la danse de la pluie

    Qui, lentement, fait que je m'abandonne.

    Puisqu'il suffit de tourner en rond autour de lui,

    Le tempo des gouttelettes harassant les murs sonne

    En moi le retour de cette vague de douleur. 

     

     

     

    Estel WN


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    piege Mortel

     

     

     

     

    La lumière ne parvenait pas à passer sous le linge qui lui bandait les yeux. Ses mains ne pouvaient, elles non plus, libérer sa vue à cause des cordes nouées autour. Nouées si fort que ses membres rougissaient. Elle aurait été nue si ses haillons avaient cédés sous la pression des chaînes de métal qui la couvraient.

    Dans sa prison incolore, il lui arrivait de percevoir le souffle, parfois agonisant, d'autres captifs. Des dizaines. Mais son ouïe fine lui laissait également entendre le bruit sourd de corps tombant à terre, et se respirations s'éteignant.

    La jeune fille avait perdue toute notion du temps. Depuis quand était elle là ? Des jours, des semaines entières probablement. Elle ne pouvait se rappeler ni de la lumière, ni du soleil. Rien. Rien ne l'atteignait plus. Le souvenir même de son arrivée ici était pavé d'incertitudes.

     

    Ce jour-là, il pleuvait. Une pluie glacée qui se confondait au sentiment de tristesse et d'amertume sur les joues de la fillette. Ses bottes frappaient si violemment les flaques d'eau qu'elles manquaient de s'y noyer.

    Elle ne s'en incommodait pas. Comment un détail si insignifiant aurait pu permettre qu'elle s'y attarder d'avantage ? Peu importait qu'elle soit mouillée, peu importait qu'elle pleurait... Elle était seule. Seule et vide. Elle l'avait toujours été après tout, sans famille, sans argent, sans personne. Pourtant... pourtant aujourd'hui elle fêtait ses quinze ans. Quinze années qu'elle vagabondait, qu'elle fuyait, quinze année que...

     

    Dans sa prison, Iléane sourit. Une question vint effacer toute les autre; à qui appartenaient-elles ? Ces bribes, ce souvenir, n'avaient jamais été siennes. Sans doute résultait-il de la mémoire d'une enfant qui avait -ou allait- trouver la mort ici, et qui lui offrait ses souvenirs. Qu'elle les garde, précieusement, que son passage sur Terre ne soit pas totalement effacé. Venant de partout autour d'elle, des battements de cœurs se rejoignaient, dans un ultime espoir ou dans un souffle continue.

    En une absence totale de bruit, un corps tomba à Terre. Iléane poussa un cri qui s'étouffa entre ses dents et la serviette qui entourait sa bouche. Une perle bleutée coula sur sa peau. Lentement. Elle traversa le bandeau qui couvrait ses yeux et, dans un ultime espoir, l'adolescente espéra que, peut-être, l'eau pourrait assouplie le tissu qui se détacherait et qu'alors elle serait capable de voir et sauver tout le monde. Ce fut vint. Et très vite ses larmes cessèrent.

     

    Un bruit sourd offusqua brusquement ses oreilles. Un second, puis un autre. De vieilles clefs ne cessaient d'ouvrir des portes rouillés. Dans un grincement, un homme empoigna Iléane pour la forcer à se lever, mais, une fois sur ses jambes émaciées, elle s'effondra. Il se détourna alors, songeant à la laisser mourir ici au lieu de s'en encombrer. Lorsqu'il se tourna vers un autre prisonnier, un homme posa la main sur son épaule, lui feignant l'ordre de récupérer sa première cible. Il passa alors au cou d'Iléane un collier raccroché à une chaîne qu'il serrait très fort dans sa paume.

     

     

    Une dizaine de minutes s'écoulèrent. Rapides mais très lentes également. Trop lentes. Comment se rassasier du temps lorsqu'on sait que le notre est finit ? Elle allait mourir. Elle ne savait ni où, ni pourquoi. Tout ce qu'elle savait était qu'elle ne souffrirait pas, mais que les autres auraient le temps de se liquéfier sans que personne ne se montre exempt.

    Iléane fut la dernière. C'est aussi comme cela qu'elle apprit combien ils étaient. Quarante. Quarante êtres humains traités comme des morts. Certains l'étaient.

    Juste avant que ce ne soit son tour, on retira le bandeau sur ses yeux et on lui rinça le visage. L'adolescente ne voyait rien tant la moindre lumière lui paraissait éblouissante. Elle fut lavée, suite à quoi on la plaça au centre d'une scène, face à des dizaines de personnes. Des dizaines de rictus maléfiques. A cet instant elle comprit. Elle sut pourquoi elle était là. C'était elle le prix, elle était à vendre.

     

    « Pour terminer ce soir, annonça une voix grave, l'offre mille trois cent soixante-deux ! De longs cheveux blancs et soyeux, des yeux colorés entre carmin et brun délavé. Forte d'un mètre cinquante, vous pouvez vous en servir pour toute sorte de travaux, son corps peut d'ailleurs être utilisé grâce à son état parfait dû à son jeune âge. Que ce soit pour vos... »

     

    Iléane n'écoutait plus. Vendue, elle ? Utilisée ? C'était donc comme ça qu'allaient finir tout ceux qui avaient été avec elles ? Ceux qui étaient déjà partis...

    Sans qu'elle n'eut compris, l'homme qui tenait ses chaînes les offrit à son acheteur. Il la regarda avec un sourire dur qui la fit tressaillir un quart de seconde. Ses muscles atrophiés lui refusaient toujours de marcher. Il la traina.

     

    Une fois sortis, il la poussa dans une grande voiture aussi sombre que le ciel. Il l'allongea presque, mais sa tête se cogna à la vitre. Il se plaça sur elle, ferma la porte. Il finit par défaire ses chaînes et le linge qui entourait son visage. Iléane en profita pour prendre de profondes inspirations, respirant comme jamais auparavant. Puis elle écarquilla les yeux et son souffle reprit un rythme normal avant que... De nouveau elle se figea. Les grandes mains de l'homme se baladaient sur son corps. Sans qu'elle ne s'en rende compte il tira un poignard et le saisit fermement dans sa main droite. Il glissa cette dernière sous les vêtements de la jeune fille avant de les lui arracher.

    Cette fois-ci ce fut l'homme qui eut un mouvement de recul. Le ventre d'Iléane se sectionnait en la forme d'un compartiment métallique. Comme un jouet ou comme... un robot.

     

     

    Elle y avait réfléchis pendant des heures quand elle était dans cette cage humide. « Comment ? » Iléane pouvait facilement faire tout exploser. Ces monstres et leur prison. Mais de cette manière elle aurait tué les humains qui partageaient avec elle cette destinée ténébreuse et cette triste fin.

    S'excuser. La jeune fille ne souhaitait rien d'autre que s'excuser. Elle aurait voulu tuer tous ceux qui les avaient acheter, tout ceux qui allaient les utiliser, les revendre, les torturer. S'en servir comme des objets... Elle ne pouvait pas. Se concentrer. Il fallait juste qu'elle se concentre pour que sa destruction prenne du terrain et détruise cette maison derrière elle. Vite. Elle devait faire vite pour que personne n'ait le temps de sortir.

     

    Quelques secondes s'écoulèrent. Rapides mais très lentes également. Trop lentes. Comment se rassasier du temps lorsque l'on sait que le notre est finit ? Ils allaient mourir. Mais, elle, ne souffrirait pas alors que les autres auraient le temps de se liquéfier sans que personne ne se montre exempt. Personne. Pas même Iléane.

    Elle allait mourir, emportant avec elle les larmes de courage qu'avaient versés ses compagnons.

    L'explosion balaya tout, fit s'envoler les derniers souvenirs. Elle déblaya tout ce qui trainait sur son chemin. Tristesse, remords, peur. Très vite il n'y eut plus rien, rien d'autre que le silence. Un silence de mort.

     

     

     

    By Estel

     

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    Étoile brisée

     

    Dans ce monde où se confondent ombre et lumière,

    Mes souvenirs éparpillés sont devenus des faiblesses.

    Dans ma tête, seule une horloge tourne sans repère...

    Ce sont les aiguilles du temps qui me blessent.

     

    Des bribes lumineuses volent autour de mon corps.

    Mais ce n'est qu'un puzzle incomplet et cassé

    Qui me suit depuis ce monde qui s'endort.

    Malgré tout, une voix me hurle de me rappeler...

     

    Comme tombé du ciel, désormais je suis perdu.

    Aide moi, ramène moi dans notre univers étoilé.

    Aide moi, pour que je continue à jamais de briller.

    Le terre est un trop triste endroit que je regrette d'avoir vu...

     

    Ce paysage lunaire m'offre des pensées torturées

    Qui se perdent dans des murmures terrifiés.

    La Terre m'a-t-elle déjà encerclé ?

    Peu importe combien je cours, je suis déjà prisonnier !

     

    Mes jambes s'affolent, mais, pourquoi ?

    Les poids de ma vie est déjà trop lourd pour elles...

    Pourquoi ne poses-tu pas sur moi tes grandes ailes

    Et, pleine de vie, ne m'emmènes-tu pas loin, avec toi...

     

    Comme chassé du ciel, je me suis même perdu.

    Aide moi à retrouver le chemin de notre univers étoilé

    Aide moi, je ne veux pas m'arrêter de briller !

    La Terre est un trop triste endroit que je regrette d'avoir vu...

     

    Un liquide rouge coule sans cesse du dessus,

    Mon œil fermé ne le voit même plus...

    Pourtant le ciel bleu ne verse aucune larme,

    Alors, qu'elle est cette eau rouge qui susurre mon âme ..?

     

    Cela fait plusieurs minutes et mon corps, déjà, a succombé.

    De ma main je tente d'attraper mes derniers souvenirs,

    Mais j'ai déjà compris pourquoi ils ont préféré fuir.

    S'il vous plait, ne m'emportez pas, fragments oubliés...

     

    Comme rejeté par le ciel, désormais je suis perdu.

    Dis-moi si notre univers étoilé m'a effacé,

    Dis-moi, pourquoi dois-je m'arrêter de briller ?

    La Terre est un triste assassin qui ne me verra plus...

     

    Comme effacé du ciel, une étoile je ne suis plus. 

     

     

     

    [ Nìniel - Miroir aux larmes ]


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    Prisonniere du temps

     

     

     

    C'était un triste ciel. Sombre et sans étoiles. Comme peints dessus, les nuages étaient colorés une teinte en dessous. Ils vacillaient, poussés par la mélodie du vent, emportant dans leur étreinte un imperceptible souffle froid. Là, bercée par la nuit, elle plongea sur Terre. Gracieusement, sa fine silhouette se dessinait dans le firmament. Elle se pencha alors en une figure artistique qui la propulsa vers l'arrière, et la fit atterrir sur le portique d'une vieille balançoire. Celle-ci bougeait encore lorsque l'étrange fillette ne s'en retourna pour toucher terre. L'herbe humide venait caresser ses bottes et se faisait capturer par leurs sangles métalliques. Ses courts cheveux gris vinrent balayer son visage, barrant sa trombine et dénaturant sa frange. Cette-dernière s'arrêtait sur de profonds yeux... De profonds yeux blancs. La demoiselle portait une courte robe asymétrique. L'habit bistré comportait une longue manche noire, tandis que l'autre se terminait en une mitaine aux rayures cendrées. Une double ceinture entourait sa taille fine, créant l'illusion d'un lien entre son corsage et sa jupe nuancée de gris.

     

    Elle regarda autour d'elle. Rien. Rien d'autres que des jeux enfantins. Rien d'inhabituel pour un parc, hormis la vieillesse et le grincement de ces manèges.

     

    « Isille ! Comment vas-tu, petite sorcière ? »

     

    La voix provenait de derrière. D'un buisson. C'était probablement celle d'une jeune femme...

     

    « Lucy... grommela-t-elle après un instant de réflexion. »

     

    Elle finit par sortir de sa cachette. La lune avait prise Isille en traitre, se trouvant dans son dos elle ne l'aidait aucunement à voir Lucy. Elle n'apercevait rien d'autres qu'une ombre, ténébreuse, qui se déplaçait vers elle. La laissant à peine l'apercevoir.

     

    « Un an. Je t'ai laissé une année. Quel est ton avis ?

    _ Mon avis ? Il n'a pas changé.

    _ Vraiment ? s'étonna-t-elle en écarquillant les yeux.

    _ Je trouve toujours ton pouvoir inutile.

    _ Ne t'a-t-il rien apporté ?

    _ Rien. Je ne peux pas rendre ses étoiles à ce ciel oublié, déclara-t-elle en le désignant du regard, je ne suis pas en mesure de rendre à un enfant les parents qu'il a perdu...

    _ N'aimes-tu pas voler ?

    _ J'aime voler. Mais peu importe que je sache le faire. Rien ne me sera apporté grâce à cela.

    _ C'est faux. Il y a la liberté, le rêve, l'....

    _ Personne n'est libre.

    _ … espoir.

    _ Nous sommes tous prisonniers du temps. »

     

    Un sourire élargit les lèvres couleur carmin de Lucy. Elle fit quelques pas, se dévoilant, elle et sa silhouette élancée. Elle était jeune, et ne vivait pas depuis plus de deux décennies. Ses longs cheveux roux étaient rassemblés uniformément, et attachés, sur le côté. Ses yeux verts et débordants de vie étaient rivés sur Isille, ne démordant pas.

    Si différentes... Elles étaient si différentes. Plusieurs paires d'années les séparaient. L'absence de maquillage sur la peau de la plus jeune s'opposait aux heures passées par Lucy à noyer sa peau de cosmétiques. Elle apparaissait colorés, extrêmement colorée malgré la lumière blafarde. Isille, elle, était une parfaite absence de couleur. Noire et blanche. Blanche et noire.

    Si différentes... Elles étaient si différentes. A tel point que ça n'avait jamais frôlé l'esprit de la jeune femme. « Personne n'est libre ». C'était vrai. Tellement vrai que son sourire se figea.

    Cela faisait un an qu'elle l'avait rencontré, cette fille qui vivait paradoxalement au monde. Un an qu'elle lui avait proposé de lui offrir ses pouvoirs. Un an qu'elle attendait son retour.

     

    « C'est aussi ça que tu faisais lors de notre première rencontre. A cette époque aussi, tu cherchais à fuir le temps. Tu n'as pas changé.

    _ Non. Je n'ai pas changé. Je suis toujours sous son contrôle.

    _ Je t'ai pourtant aidé à t'enfuir.

    _ Tu m'as juste donné des ailes, pour que je vole plus vite que lui ne cours.

    _ Mais en étant plus rapide, ne gagnes-tu pas de l'emprise sur lui ? »

     

    C'était faux. Absolument faux.

    Personne ne pouvait gagner contre cela. C'était trop puissant, bien trop puissant. Si influent qu'il s'annihilait lui-même.

     

    « Je te rends ton pouvoir, lâcha-t-elle pour feindre le silence.

    _ Tu es obligée de me le rendre, c'est le mien. Par contre, il te reste la possibilité...

    _ Je ne veux pas ! la coupa-t-elle en observant son bras qui la faisait souffrir. Je ne veux pas être une sorcière. Je laisse ce pouvoir à ceux qui en ont besoin.

    _ Mais... c'est que...

    _ Je veux devenir une arme qui combat le temps; ton pouvoir abîme mon corps. Lentement. Il se liquéfie. Je ne peux pas m'en encombrer !

    _ Comment combattras-tu le temps en tant que simple humaine ?

    _ Je le combattrais mieux. »

     

    Une nouvelle fois, la conception qu'avait Lucy des choses volait en éclat. C'était un affront, un véritable affront, à elle et à la sorcellerie. Pourtant, elle ne pouvait nier ces paroles. Cette vérité la poignardait de toute ses forces. Encore et encore.

     

    « Je t'ai donné tout ce que j'avais. Je n'ai rien qui comblerait tes attentes. Peut-être ne suis-je rien d'autres qu'une sorcière, une petite sorcière novice. Mais je suis moi, alors que... qu'adviendra-t-il de toi ?

    _ Je deviendrais le temps. »

     

    Un léger souffle de vent déblaya le parc. Un léger souffle et Lucy disparu, emportant avec elle les pouvoirs qu'Isille avait abandonné. 

     

     

     

    By Estel


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  • Le miroir aux larmes 

     

     

     

     

     


    Prologue

     

     


    Tout commença à Kyoto, lors d'une orageuse nuit d'octobre. Seule une pièce restait éclairée dans la maisonnette. Des dizaines de papiers chiffonnés et roulés en boule recouvraient le parquet. Des tâches d'encres masquaient une poubelle blanche entourée de crayons. Sur une petite table s'amoncelaient des feuilles marquées d'une écriture soignée, ainsi que divers porte-document et cahiers qui servaient de brouillon.
    La table de nuit ne portait qu'une lampe bleutée et un petit calepin. La chambre avait une grande fenêtre qui donnait sur une vision banale, soit un parking dont les places étaient séparées par une rangée d'arbres. Le tiers de l'espace de la salle était occupé par un lit deux places. Un réveil était calé contre le mur et entouré par un étrange ours en peluche blanc, ainsi que par deux oreillers. Une couette grise était recroquevillée vers le fond du lit. Et, allongée de toute sa longueur, une jeune fille tremblait en appuyant son stylo contre des feuilles.

    C'était Luna, Luna Asuma. Une jeune adolescente de quatorze ans. Elle portait un long maillot rose, qui s'arrêtait négligemment sur un short noir. Des guêtres multicolores montaient sur ses collants ébènes. Une frange tombait sur ses yeux bleus, alors que le restant de ses cheveux châtains arrivaient à ses épaules. Un casque jouait de la musique sur ses oreilles, tandis qu'elle suivait le rythme, battant la mesure avec son stylo.
    Elle relâcha sa tête et la posa entre ses bras, laissant s'échapper un soupir de découragement. Elle arracha brutalement sa feuille en deux, avant de la jeter par terre. Des bouts de papiers par dizaines étaient abandonnés sur le sol. L'adolescente ne le remarquait pas, mais en assemblant des phrases, de feuille en feuille, des paragraphes entiers se formaient... 

      « Elle courrait, désespérément, sans but. Ses pieds n'avaient de cesse de la faire trébucher. »
      « Des murmures. Des pas. Elle les entendait de tous les côtés... »
      « Et pourtant, elle ne voyait rien. Les larmes qui émanaient de ses yeux, et la buée formée sur ses lunettes, l'empêchaient d'avoir une vue claire de ce qui l'entourait. »
      « Elle avait déjà perdu son cœur... Que fuyait-elle désormais ? Tandis qu'elle croyait n'avoir plus rien à égarer, voilà qu'une peur incontrôlable s'emparait d'elle. »

    Des histoires tristes, et des amours déçus, étaient les principaux thèmes qu'abordait Luna. Mais à chaque fois, les feuilles finissaient déchirées. Il n'en ressortait rien. Pas la moindre émotion concrète ne se ressentait dans ses phrases. Des lignes de mots se perdaient chaque jour, elle écrivait sans arrêt. Et pourtant... Elle avait toujours aussi mal. Elle se sentait si découragée, si seule. Tellement d'histoires étaient venus entraver sa route durant ces dernières années. Elle ne suivait plus ce rythme infernal, ses mots n'allaient pas assez vite pour ce tempo qui la poussait en enfer.

    C'était peu avant que la vie de Luna ne change qu'elle découvrit l'écriture. Au fur et à mesure de ses mots, elle avait fini par en tomber amoureuse. Puis elle avait écrit son premier texte triste... C'était à ce moment, à ce moment là elle avait compris. Ses sentiments devenaient différents, elle se sentait mieux. Son cœur se vidait peu à peu. Depuis, elle ne lâcha plus sa plume. Ne cessant jamais d'écrire, les jours qui se suivaient étaient tous comparable, presque identiques. Mais à chaque fois, c'est une nouvelle histoire qui s'inscrivait sur le papier. La sortant de son quotidien monotone.

    Frottant ses yeux et laissant son stylo tomber par terre, l'adolescente se dirigea vers la salle de bain. Elle alluma la lumière en se tenant maladroitement la tête. Elle fit quelque pas en direction d'un grand miroir qui occupait le mur. Machinalement, elle passa un coup d'eau froide sur son visage. Puis son regard fut attiré par la glace. Elle étouffa de ses mains un cri d'effroi. Elle était pourtant seule dans la pièce, et il n'y avait personne d'autre d'éveillé. Mais alors... Pourquoi est-ce que ce n'était pas son reflet dans la glace ?
    Pourtant, cette personne lui ressemblait. Ses cheveux bruns étaient légèrement plus courts, et ses yeux étaient d'une sombre teinte émeraude. Ses vêtements étaient les même que Luna, mis à part le fait que son maillot et ses guêtres étaient gris.
    Luna la regardait, se tortillant dans tous les sens possibles. Chevrotante, elle se pinçait maladroitement les doigts, comme pour se prouver que ce qu'elle voyait était bien réel... Elle continuait. Mais à son regret, elle ne se réveillait pas. Son reflet n'apparaissait pas... Seule cette étrange jeune fille était là, toujours; clignant des yeux pour seul geste. C'est seulement quand l'adolescente quitta la pièce que le reflet disparu, subitement, en même temps que le cœur de Luna tremblait... Au même moment que celui qu'elle choisis pour s'écrouler sur son lit. Tremblante de froid, de peur. Elle reprenait lentement sa respiration, alors qu'un éclair frappa le sol, tout près de sa fenêtre.

     

     

     

     

     

     

     

     


    Chapitre 1 :

    Parce qu'une message en cache toujours un autre...

     

     


    C'était un ordinaire jour de Novembre. La tempête de la veille avait dépouillé les arbres de leur enveloppe de neige. Un léger vent la remuait encore dans l'air, et elle s'accrochait aux vêtements des enfants. Ces derniers batifolaient dans ce décors glacial, se roulant par terre ou s'envoyant des boules blanchâtres les uns aux autres.
    Un petit garçon repéra une luge rouge abandonnée et ensevelie. Il se démena pour la libérer de ses chaines, alors qu'elle était prête à s'écrouler sur lui. Un de ses camarades s'aventura avec lui sous l'insignifiant traineau, l'aidant à le maintenir en l'air. Les deux amis eurent un fous rire, voyant que leur jouet s'effondrait sur eux. Bercée par leurs gloussements, Luna laissait ses traces de pas se fondre dans l'épaisse neige immaculée. Une longue écharpe beige était venue se rajouter à son uniforme de collégienne, et la couvrait jusqu'aux oreilles, tandis que des bottes marrons empêchaient l'humidité d'atteindre ses collants. Elle regardait tendrement les magasins qui avaient revêtis leurs plus belles décorations aux couleurs de Noël. Des souvenirs inoubliables de son enfance lui revenaient à l'esprit, alors qu'une affiche publicitaire atterrissait sur son visage, la sortant de ses rêveries. Elle la retira, puis tenta d'attraper les autres prospectus qui virevoltaient ici et là dans le ciel. Elle sauta en l'air à leur poursuite, puis tomba maladroitement sur le sol froid.
    Les habitants eurent un sourire moqueur, quand Luna se releva et alla jeter à la poubelle ce qu'elle avait ramassé.

    Tremblante de froid, elle finit par arriver à son collège. C'était un célèbre établissement, le plus réputé de la ville après un internat pour filles, qui se nommait « Kimuko ». Les premières années, un peu perdus encore, trainaient dans les couloirs remplis d'élèves.
    Malgré ça, Luna réussi à se faufiler dans sa classe. Elle se dirigea vers sa place, au fond à droite, où elle retrouva ses amies. Kamitsuki Shino avait passé une classe lorsqu'elle était en primaire, elle se retrouvait donc en dernière année de collège à treize ans seulement. Elle était habituellement dans les premiers de sa classe, mais pour elle ce n'était « pas si important ». La jeune fille venait d'une famille fortunée, de laquelle elle avait reçut une éducation bourgeoise qu'elle tentait de dissimuler. Depuis qu'elle était jeune elle essayait de se détacher de ce milieu, tant elle avait souffert de ça étant enfant. Elle avait de longs cheveux châtains clairs qu'elle gardait attachés  avec un élastique, seule une fine mèche trainait sur son visage pâle. Ses yeux en amande étaient marrons, et paraissaient remplis de rêves. Sa bouche pulpeuse s'était familiarisée avec un sourire qu'elle affichait la majeure partie de la journée.
    Comme toute les filles de l'institution, elle portait un uniforme. Une chemisette blanche, surmontée d'un blazer bleue. Ce dernier était de la même couleur que leur jupe. Elles portaient également des chaussettes grises qui arrivaient à leurs genoux.

      « Coucou Luna ! la salua Kaede. »
      _Salut Kaede, coucou Shino ! sourit Luna.
      _ Dis donc, t'es en avance aujourd'hui... T'es malade ? la taquina Shino. »

    Kaede Mitsuke avait de courts cheveux roux. Une frange lui cachait l'œil gauche, tandis que l'autre était parsemé de tâches de rousseur. Fougueuse, et distraite en ce qui concerne l'école, elle mettait pourtant toute son énergie dans la passion qui l'animait depuis plusieurs années, la musique. Elle avait déjà essayé la batterie puis la basse, avant de s'illustrer sur ses performances de guitariste.
    L'adolescente venait d'une famille moyenne, malgré les coups du sort elle s'était habituée à ne pas baisser les bras. Elle était naturellement pleine de vie et d'enthousiasme, ce qui lui valait d'être prise pour quelqu'un de plus jeune. Son regard vert émeraude rappelait à Luna celui de la fille du miroir...

    Cette mystérieuse adolescente remplaçait son reflet. Et même quand elle n'était pas face à un objet réfléchissant, Luna savait qu'elle était toujours là. En silence. A ne pas bouger, à réfléchir. Comme quelqu'un qui serait captivé par un livre ou un film. Luna la sentait en elle. Elle l'entendait respirer. C'était presque comme si elle pouvait la voir et lui parler...  Elle avait terriblement peur, mais elle ne faisait rien. Elle ne savait pas ce que ça voulait dire ou représenter, et tant qu'elle ne se manifestait pas autrement, elle avait choisi de rester calme elle aussi. Comme si l'une apprivoisait l'autre.
    Luna avait cru rêver la première fois, mais au fil des jours ça continuait. Enlevant toute possibilité de rêverie. Ça devenait de plus en plus réel... Comme si elle devenait de plus en plus vivante. Elle l'avait décidé, elle n'en parlerait à personne. Qui pourrait comprendre. Même elle se croyait folle. Cette fille, était-elle vraiment née en elle ?
     

    Les adolescentes eurent un fous rire ensembles. Malgré les répétitions de leurs blagues, leurs taquineries enfantines, les années d'amitié ou de disputes qui hantaient leur passé, Luna était heureuse. Ne jurant de rien. Tentant d'atteindre l'avenir très haut. Tout en haut. Pour ne jamais retomber.
    Même tourmentée, torturée,  même si elle n'avait plus confiance en elle, que son existence se perdait dans le vide, elles s'accrocherait. Vivant chaque seconde plus intensément que toute les précédentes. Elle ne parlait pas, absolument rien à son sujet ne lui échappait. Elle essayait tant bien que mal de relativiser. Qu'avait-elle d'autre à faire ? Cette fille était étrange, certes, mais ce n'était pas son ennemi, ni même quelque chose qui s'en rapprochait. Elle était.. elle. Juste elle.

    Le professeur entra dans la salle de cours, se déplaçant entre les tables. Puis il arriva à son bureau, posa ses affaires, et se tourna vers le tableau. Un effrayant silence régnait. Seul le bruit de la craie était percevable, ça et les explications de l'enseignant. Mais Luna les entendait à peine résonner en cognant contre les murs de la salle. Son regard se perdait au travers de la fenêtre, par de là l'horizon. Comme si elle voulait s'enfuir loin là-bas.

    « Ça fait si longtemps... pensa-t-elle. Presque un mois que je n'ai pas écrit. Pas la moindre ligne. Mais j'en ai tellement envie tout à coup. Maintenant que j'y pense, je ne suis plus triste du tout non plus. Serait à force de déchirer ces feuilles ? A torturer mon esprit pour trouver les mots qui le libéreraient enfin, ai-je réussi à m'effacer tout ça de la tête ? Nan, c'est bizarre. C'est trop soudain. Je voulais vraiment pleurer... Avant que je ne la rencontre ?
    Avant qu'elle n'arrive je me sentais terriblement triste et seule. J'étais vraiment pas bien... Peut-être qu'en fait, je suis contente qu'elle soit là. C'est égoïste de ma part, je le sais, mais même si son existence me terrifie, au fond de moi j'ai l'impression qu'elle est mon amie. Elle est comme une partie de moi. Mais, si je ne suis plus triste depuis qu'elle est là, alors elle le serait pendant que je suis heureuse ?! Un humain ne peut pas partager les sentiments d'un autre. Nan, c'est définitivement impossible. Mais... est-elle vraiment humaine ?
    C'est horrible. Je m'en veux. Si elle ressent vraiment ça, je devrais la laisser. La laisser partir là où elle serait seule, l'esprit serein. Mais... même si c'était le cas je n'y arriverais pas. Je le sais. Je voudrais la garder près de moi, pour ne plus jamais avoir ce sentiment de désespoir qui s'emparait de moi. Je suis horrible. Mais... Peut-être que je me trompe ? J'espère... »

     

    Luna remuait machinalement sa fourchette dans sa purée pendant la pause déjeuner. Ses amies la regardaient, étonnées. Elle ne semblait pas les voir. Shino passa sa main devant ses yeux, puis remua son bras avec une tête affolée, avant de claquer des doigts. Comme revenant à elle, l'adolescente sursauta.

      « Bah, t'es dans la lune ? demanda Shino.
      _T'y es pas du tout ! reprit son acolyte. C'est à cause du gars là-bas, Masamune Nakanashi. Avoue Luna, tu craques pour lui. C'est pas mignon ? ajouta-t-elle, mimant des baisers avec ses lèvres.
      _ Il n'y a que toi pour t'intéresser à ce genre de choses. rectifia l'auteur en ingurgitant son plateau en quelques minutes.
      _ Dis moi, t'es enceinte ou quoi ? Tu manges pour combien là ?! s'étonna Shino, n'arrivant même plus à quitter des yeux cet affligeant spectacle.
      _ C'est vrai que t'arrêtes pas de grignoter, et pendant les repas t'as toujours faim ..! Et surtout, tu grossis pas ! T'arriveras jamais à séduire un garçon si tu continues comme ça...
      _ Et toi alors ? T'en as pas marre de tourner autour de Masa' sans rien oser lui dire ? Qu'est-ce que t'attends ? sourit Kaede au dépend de la jeune fille. »

    Luna ne comprenait pas tout de leurs discutions de collégiennes. Les garçons, les histoires, ça ne l'intéressait pas vraiment. Pourtant, elle gardait le sourire aux lèvres, une paille de brique de jus de fruits dans la bouche, à suivre leur discussion qui avait l'air de sortir d'un mauvais manga Shōjo.

      « Kyaah ! s'écria Kaede, totalement démoralisée. Cours de math moins vingt !
      _ Et bien sûr t'as révisé... murmura Luna découragée.
      _ Faut dire que Pythagore, t'as pas besoin de réviser.
      _ Parle pour toi Shino ! reprit Kaede, alors que son amie esquissait un sourire mesquin. Comment je vais faire ?
      _ Bah.. il te reste vingt minutes... »

    Kaede sortit en trombe de la cantine, et partie à tire-d'aile chercher ses cours dans son casier.  Ses amies tentaient de la suivre dans le labyrinthe que formaient les couloirs du collège. Et, rapidement, elles se rejoignirent dehors. S'asseyant sur son sac de cours, Kaede éparpilla divers livres et cahiers sur le banc. Elle sortit également une calculette, des stylos, un crayon à papier et une gomme.

      « «Dans un triangle rectangle, le carré de la longueur de l'hypoténuse est égal à la somme des carrés des longueurs des deux autres cotés. » Kyaah, mais ça veut rien dire !
      _ J'vois pas ce que tu comprends pas.. s'étonna Shino, devant la mine désemparée de l'adolescente.
      _ Est-ce que « tout » te va comme réponse ?
      _ Regarde, c'est facile... commença Luna sur un ton calme. Tu as trois côtés à ton triangle, dont deux forment un angle droit. Et le dernier côté est appelé « Hypoténuse ». Maintenant, si tu mets tout ces côtés au carré, les deux qui forment l'angle droit additionnés ensemble sont égales à l'hypoténuse. Après c'est une question de logique... »

    Kaede analysa ses livres, suivant mot à mot  les explications de son amie.

      « Merci Luna ! J'sais pas c'que je ferais sans toi ! ajouta-t-elle pleine de reconnaissance.
      _ Je ne te savais pas si bonne en math.. remarqua Shino.
      _ Je le savais pas non plus ! rit-elle. »

    Les trois amies finirent par rejoindre leur salle de cours. Des feuilles blanches étaient déjà installées sur toute les tables de la salle, retournées.
    Dans un coin, un jeune homme se morfondait. Seul. Il tremblait en passant une main dans ses cheveux blonds. Il avait le visage caché et plongé dans son cahier de mathématiques. Luna le regardait d'un air triste. Le garçon releva ses yeux bleus de son livre et la regarda.

      « Est-ce que lui aussi s'inquiète pour son examen ? pensa Luna. Mince, j'espère que ça va aller. Ou, en tout cas, que ça ne fera pas comme Kaede qui a finit à l'infirmerie. Les bien-faits du stress, c'est dingue... »

    L'adolescente se concentra sur sa copie. Elle n'avait pas de problèmes particuliers en math, non, en fait c'était sa propre logique qu'elle ne comprenait pas. Ses réponses étaient exactes, et il ne lui fallait que quelques secondes pour les trouver, mais elle doutait toujours. Comme si son raisonnement était illogique... A ses yeux, il l'était.
    En une demie heure à peine, son devoir était remplis. Regardant vaguement dehors, elle prit une feuille et commença à gribouiller quelques lignes dessus. Elle ne regardait pas vraiment, à tel point qu'elle se rendait à peine compte de ce qu'il se passait. « S'il te plait... Ne m'efface pas.. ». Cette phrase était encrée sur la feuille chiffonnée de Luna.

      « J'ai.. écrit ça ? Je ne me souviens pas l'avoir fait, pourquoi aurais-je dit ça ? Est-ce que c'est elle ? Elle peut.. contrôler mon corps !? »

    Le cœur de Luna palpitait. Qu'est-ce qu'il se passait ? Elle avait peur, elle en avait marre. Elle pensait à la longueur de la nuit qui allait l'attendre. Elle serait là aussi.
    La jeune fille rendit sa copie au professeur avant de ressortir. Le long et  frigorifiant trajet qui la conduisait jusque chez elle se faisait sur une route enneigée. Le pont glacé sur lequel elle marchait la faisait glisser. Tellement qu'elle finit sa route a plat ventre, son écharpe se déroulant de son cou. Elle heurta un groupe d'adolescents en vestes de cuir, bières et cigarettes à la main. La demoiselle attrapa son écharpe et se dépêcha de l'enfiler. Elle se blottit contre le vêtement qui la réchauffait.

      « Pardon.. je.. j'ai glissé sur le pont...
      _ Glissé, hein ? »


    Alors que l'auteur s'était abaissée pour faire ses excuses, un des adolescent du groupe la saisit par le col. Il la plaqua contre le mur d'un appartement, la soulevant de quelques centimètres du sol. Luna avait peur, si peur qu'elle aurait pu s'évanouir et ne jamais revenir à elle. Les laissant matraquer son corps sans qu'elle ne le ressente. Et, sentant le poids de la jambe du garçon comprimer son ventre, elle suffoqua quelques instants.
    Elle perdait le contrôle. Non, en fait, elle ne l'avait jamais eu. Les paroles agressives du garçon qui postillonnait sur son visage lui glaçaient le sang. Puis ses yeux se fermèrent. Alors qu'elle voulait s'enfuir, qu'elle ne voulait pas abandonner, elle perdit connaissance.

    Le jeune homme présenta son poing devant le visage de l'adolescente. Il se rapprochait d'elle, seconde après seconde. Frappant coup après coup son visage égratigné et rougit par les marques des os de son agresseur. Alors que le corps de Luna s'effondrait sur le sol froid, le fumeur fut projeté contre le mur. La puissance de l'attaque le fit retomber platement dans la neige.


     

     

     

     

     

     

    Chapitre 2 :

     « S'il te plait... Ne m'efface pas... »

     

     

     

     

     

     

    Le jeune homme souleva Luna, avant de la plaquer contre le mur de l'immeuble. Son genoux appuyait contre le thorax de l'adolescente, la faisant s'étouffer. Ses forces l'abandonnaient presque, elle crut perdre connaissance. Mais à ce moment, elle rouvrit les yeux. De profonds yeux émeraudes. Elle s'accrocha aux barreaux d'une fenêtre au dessus d'elle puis replia ses jambes, avant de s'en servir pour envoyer le fumeur contre le mur parallèle. Son corps s'effondra dans la neige. Le groupe de l'adolescent se rua vers lui, alors que la collégienne prenait la fuite.

     

    C'était la fin des cours pour la classe de troisième du collège Kimuko. Un jeune brun venait à peine de sortir, et grommelait déjà quelques phrases incompréhensibles. S'énervant contre lui-même d'avoir mal répondu, ou mal révisé, à son devoir de mathématiques, il longeait un pont glacé en gardant la tête basse et en fixant le sol. Alors qu'il continuait calmement son chemin, dérapant maladroitement sur le passage enneigé, il remarqua une fillette qui courrait dans la rue voisine. Elle avait de courts cheveux bruns qui s'envolaient à cause du vent, et portait le même uniforme que les filles de son collège.

    Mais, alors qu'elle se dépêchait de rentrer chez elle, la demoiselle laissa tomber sa longue écharpe dans la neige. Le jeune homme la ramassa, et, tentant de la lui rendre, commença à courir vers elle. L'adolescent se dirigea dans la même direction qu'elle, mais glissa sur le sol froid. Quand il releva la tête, tout un groupe de jeunes filles de son école s'étaient réunies autour de lui, s'assurant qu'il aille bien.

     

    Lorsque Luna se réveilla, elle était toujours vêtue de son uniforme. Seule. Dans une sinistre pièce vide. Sur les murs ébènes étaient encrées quelques inscriptions colorées de rouge. Elle s'avança timidement, et son pas fit résonner une flaque d'eau qui s'engouffrait dans le sol. Elle regarda à l'intérieur et son reflet apparut... Le sien, celui de personne d'autres. Des dizaines de livres s'empilaient sur le sol, formant un cercle. Au centre de celui-ci étaient éparpillées quelques feuilles vierges et une plume. Blanche.

    Luna se retourna. Derrière elle se tenait sa copie, aussi vivante qu'elle. La collégienne laissa s'échapper un cri d'effroi. Son double avait l'air si triste, si seule, comme détruite... Sur ses joues ruisselaient des larmes de sang. Ses yeux verts restaient fixés sur Luna.

     

    « Où est-ce qu'on est ..? demanda-t-elle avec une voix hésitante.

    _ S'il te plait... balbutiait-elle. Ne... Ne m'efface pas... S'il te plait... »

     

    Ces quelques mots résonnaient dans la tête de Luna. « Ne m'efface pas », c'était également ce qu'elle avait noté en cours. Juste avant de sortir et de...

     

    « Alors elle peux contrôler mon corps. Elle peut vraiment le faire... pensa la jeune fille. »

     

    La jeune habitante de l'esprit de Luna répétait continuellement cette phrase. Ses larmes, qui avaient atteints le sol, coulaient vers la collégienne. Alors que, seconde après seconde, elles se rapprochaient d'elle, elles n'arrivaient jamais à l'atteindre.

     

    « Est-ce que... je me suis évanouie ? Quand ce garçon me frappait...

    _ Tu t'es évanouie, mais...

    _ Mon corps est resté là-bas ? S'il est dans la neige depuis trop longtemps et que j'ai perdu connaissance...

    _ Non, ''ton'' corps est dans ta chambre, allongé sur ton lit.

    _ Quoi ? Mais... c'est toi qui a fait ça ?! »

     

    La jeune fille monta d'un ton sur sa dernière phrase. Elle l'avait suspecté en effet, mais cette sensation lui restait désagréable. Quelqu'un d'autre contrôlait son corps... Et peut-être même son esprit ? Où parlaient-elles en ce moment, c'était un endroit qu'elle ne connaissait pas, pourtant il lui paraissait familier. Comme si elle était déjà venue ici en rêve ou qu'elle l'avait elle-même écrit.

    La façon dont l'avait questionné Luna faisait peur à la fille aux larmes de sang. Elle l'avait fait, certes, mais pour elle c'était normal. Ce garçon n'avait pas à s'en prendre à elle. Si elle l'avait laissé faire, peut-être que ça continuerait encore ..?

    Les yeux ensanglantés, elle s'accroupit sur le sol. Elle tenait sa tête entre ses doigts et tremblait. De peur. Elle ne connaissait que ça.

     

    « Pardon... s'il te plait... pardonne moi... ne m'efface pas... »

     

    Luna serra les poings un moment. Sa conception des choses, ce qu'elle croyait réel, la logique, tout ça disparaissait peu à peu, s'évanouissant dans les trainés de sang de la demoiselle. Le temps passé à s'inquiéter n'avait plus d'importance, les moments où elle pleurait, où elle avait peur et froid, tout s'effacer. Ses questions, ses doutes, tout devait s'en aller. Tout partait. Seules Luna et son sosie restaient là. Personne d'autres. Il n'y avait besoin de rien... Juste elles, le silence, le vide, le noir, et l'écriture que portaient les murs...

    A mesure qu'elle avançait, le sang atteignit ses bottes, puis ses collants lorsqu'elle s'assit face à son reflet. La regardant, les yeux dans les yeux, elle ne savait que dire... Comme si elle n'avait pas besoin de parler. Que tous les mots de monde se transmettaient dans leurs seuls regards.

     

     

    Le soleil traversait les vitres de la fenêtre. Sur le sol demeuraient des centaines de bouts de papier en lambeaux. Et, sur le grand lit gris, Luna rouvrit les yeux. Elle portait encore ses bottes et son uniforme. Son écharpe par contre avait disparu. Ses grands yeux bleus fixaient le plafond, avant de scruter les murs, le sol, la fenêtre...

     

    « Impossible.. c'était un rêve ? se demanda-t-elle. »

     

    Elle passa la tête sous son lit, puis se faufila dans les moindres recoins de la maison.

     

    « Euh.. dis, t'es encore là, n'est-ce pas ? Tu n'as pas disparu ?! s'inquiétait Luna tout en se penchant sous la table du salon.

    _ Je suis là. Mais tu ne peux pas me voir. répondit-elle alors que la jeune fille trompa ses paroles en se plaçant face à un miroir.

    _ J'ai eu peur... de l'avoir rêvé. »

     

    Le cœur du pseudo-fantôme ne fit qu'un bon lors de cette phrase. « Peur que ce ne soit qu'un rêve » ? Elle l'avait vraiment dit. Mot pour mot, ce n'était pas une simple divagation faite de la solitude pesante sur elle. Ni de la peine ou de l'absence qui la terrifiait, celle de ne pas avoir de cœur. De ne pas avoir de corps. Comme si ce n'était qu'un fantôme. Mais après ce qu'elle avait dit, c'était différent ? Non. C'était exactement pareil, elle n'avait pas changé, ses pensées étaient juste fausses depuis le départ. Luna était contente qu'elle soit encore là... Ça aurait été un bel espoir, un très beau rêve qu'elle l'ai dit, qu'elle ne la rejette pas, elle qui n'était.. rien ? Juste..une sorte de trouble ? De dédoublement de la personnalité ou de l'esprit. Mais, non. Ce n'était pas un rêve. C'est justement ça qui rendait ces paroles si insensées, si terribles, si belles.

     

    « Vraiment ? Tu ne veux plus m'effacer ?

    _ Non. Je ne veux pas que tu disparaisses. J'aimerais que tu restes là, mais... qui es-tu ?

    _ Je.. je suis... un partie de toi. Je pense.

    _ Tu ne sais pas comment tu t'appelles ? »

     

    Un signe de négation de la tête, c'était la seule réponse qu'obtint Luna. Alors elle réfléchit. Un prénom.. Pas n'importe quel prénom. C'était important. C'était pour une personne spéciale, tellement spéciale qu'elle ne savait que dire.

    Nìniel... Elle avait un jour trouvé ce prénom dans un livre. Alors qu'elle recherchait désespérément un nom pour l'un de ses personnages fictifs, une liste de noms Elfiques était apparue. Un de ces mots lui avait immédiatement sauté aux yeux. « Nìniel », signifiant « Fille aux larmes ». Néanmoins, elle ne l'avait jamais utilisé. Mais cette fois-ci c'était différent. C'était sa propre histoire qui s'écrivait. Et là elle ne connaissait aucun chapitre à l'avance...

     

    « Nìniel... bienvenue chez toi ! »

     

    Ce n'était décidément pas comme quand elle écrivait. Elle ne savait pas ce qui allait se passer, pas même dans une dizaine de minutes. Qui plus elle n'avait aucune idée de l'achèvement de cette histoire. Elle... Elle ne voulait tout simplement pas que ça se termine.

    Toute ces questions s'étaient effacées en même tant que Nìniel pleurait. Luna était juste apaisée, et plus que jamais elle était décidée à avancer dans sa lecture, et à ne jamais retourner à l'introduction qui avait si mal commencé. 

      

     

     

     

     

     

    Chapitre 3 :

     

    De l'autre côté du miroir

     

     

     

     

     

     

    Le vent sifflotait vaguement un petit air de Noël, qui se joignait au chant d'une boite à musique. La neige se confondait peu à peu à la douce pluie qui s'écoulait sur Kyoto. Et, alors que la fraicheur faisait frissonner sa peau, un jeune homme faisait tourner son doigt dans l'eau glacée qui couvrait le rebord de sa fenêtre. Celle-ci donnait sur une étroite pièce où se mêlaient divers instruments de musique, albums et autres haut-parleurs. Quelques partitions dissimulaient le sol, ainsi que des papiers recouverts de paroles et d'écritures griffonnées. Des jeux de cordes de guitares et de basses étaient empilés sur des étagères blanches, mélangés avec plusieurs baguettes de batterie.

    Sur une chaise trônait une longue et épaisse écharpe brunâtre qui trainait à quelques centimètres du sol. L'adolescent ferma sèchement la fenêtre de la petite salle de musique. Masamune avait de beaux cheveux bruns négligemment coiffés et tirés sur le côté. La couleur de ses yeux en amande se confondait de turquoise et de bleu azur. Ses vêtements étaient teintés d'un sombre bleu, semblable à celui du ciel endormi.

     

    Il attrapa de sa main gauche le manche d'une guitare acoustique, et, s'accroupissant sur sol, se regarda tristement dans le dos en bois de son instrument. Il retourna alors ce-dernier, et, positionnant gracieusement ses doigts entre les frettes, se mit à gratter doucement les cordes. Constamment, ses yeux fixaient le vêtement d'hiver que soutenait le fauteuil. Depuis plusieurs jours ses pensées ne tournaient plus qu'autour de ça. Elles se faisaient oppressantes. Irrépressibles.

    Pourtant.. pourtant il n'avait même pas vu son visage. Mais son uniforme l'avait frappé, c'était celui de son propre collège. Il devait se renseigner, absolument. Cette obsession le faisait tourner en rond, certes, mais... qu'y pouvait-il ? Il le savait, rien de particulier ne se passerait s'il parvenait à la trouver. Mais il ne pouvait pas s'en empêcher. Il jouait sa mélodie en regardant vaguement au plafond. Des paroles. C'était tout ce qu'il lui manquait, les paroles.

     

    Il ne lui restait que quelques minutes avant son cours de musique. Il se dépêcha de ranger sa guitare dans un étui, lui-même protégé par une autre enveloppe plastifiée. Changeant alternativement de bras pour porter son instrument, il enfila un blouson bistré et des bottes montantes.

    Finalement sortit dans la rue, ses chaussures claquaient sur le sol et faisaient voler la mare d'eau glacée. Son parapluie protégeait la housse de sa guitare, bien que cela restait inutile grâce à la bâche en plastique, et la pluie ruisselait sur son visage. Il marmonnait un léger air mélancolique. Il souriait. Depuis qu'il avait emménagé dans son appartement, il n'était plus qu'à une dizaine de minutes de son antre musicale. Il n'y allait plus que lorsqu'il avait cours, désormais il tâchait de s'y rendre tous les jours. Là-bas il retrouvait ses amis, ses professeurs, sa musique... Sa propre musique. Celle qu'il inventait, qu'il créait, celle qui lui plaisait. Qui le transformait, qui, en un quart de secondes, faisait fondre la neige... Le froid, la solitude, les problèmes, tout s'évaporait. Balayé par une incommensurable source de chaleur.

     

    Le sourire aux lèvres, il rentra dans l'institut, saluant chaleureusement toute personne présente.

     

    « Coucou tout le monde ! »

     

    Il fut accueilli avec autant d'enthousiasme. Ici tout le monde le connaissait. Cela faisait plus de six ans qu'il était là, s'exerçant et progressant plus vite que n'importe qui. Masamune tourna dès le premier couloir et rejoignit un groupe d'adolescents, filles et garçons. Avec eux, il y avait également des collégiens de Kimuko, notamment Kaede. La petite rousse lui dédia un sourire, avant de l'accompagner poser sa guitare et se sécher les cheveux.

     

    « .. Mais au fait, monologuait-elle, t'as réussi pour tes paroles ?

    _ Boff, non. Ça avance pas, et c'est pour dans deux jours. Comme t'as fait toi ?

    _ Ahah, moi c'est facile, j'ai demandé de l'aide à Luna !

    _ Luna Asuma ? Tu crois qu'elle pourrait m'aider aussi ?

    _ Ouais, t'as qu'à lui demander, sourit Kaede. »

     

     

    •••

     

     

    Luna envoya d'un coup sec une feuille de papier contre le mur.

     

    « Encore raté ! s'écria-t-elle en se laissant tomber sur son lit. »

     

    Quand elle se pencha, elle laissa apparaître une légère jupe noire qui se perdait dans les plis d'un large maillot gris. Elle posa sa tête qui se heurta contre des crayons, l'obligeant à se relever de plus belle.

     

    « J'y arriverai jamais..

    _ Est-ce que je peux essayer ? »

     

    Le ton de Nìniel était différent. Très différent de la fois où Luna l'avait vu dans cet étrange endroit lugubre. Comme si les sentiments passaient à travers elle sans l'atteindre, qu'autour de sa tête voletaient tellement de questions et de songes qu'elle n'avait pas le temps de s'attarder à des dialogues inutiles. Comme si... comme si.

    Cela faisait à peine dix jours que les deux filles cohabitaient réellement. Par choix, et non par restriction. Pourtant, Nìniel avait l'air légèrement plus vieille, plus mature, plus réfléchie. Luna, elle, avait toujours son attitude insouciante de petite collégienne. Comme si toutes ses craintes s'étaient envolés.

     

    Luna ne savait guère quoi répondre devant cette question. Son amie avait certes contrôlé son corps quand elle était inconsciente, mais lorsqu'elle l'était, où partait son esprit ? Elle avait peur. Pourtant, elle ne pouvait qu'aller dans cet endroit... Ce lieu où vivait Nìniel. Que craignait-elle vraiment ?

     

    « … D'accord. »

     

    Elle ferma les yeux. Ses pupilles bleutées se désagrégèrent pour se teinter de vert; la forme de son visage, de son corps, ses vêtements, ne changèrent pas. Elle avait juste besoin de lire, de ressentir le monde, les feuilles de papier. De le voir. Luna ne perdit donc pas totalement le contrôle de son corps. Car Nìniel savait qu'elle n'était pas prête. Pas encore. La fillette se leva et ramassa deux ou trois feuilles qui lui tombaient sous la main.

     

    « Prête ?

    _ Prête... balbutia-t-elle. »

     

    Luna atterrit maladroitement sur une vague d'eau brumeuse. Noir. A nouveau tout était noir. Glacial. Vide. A tel point que la collégienne en avait la chair de poule. Une peur qui l'avait quitté ces derniers jours et qui revenait lui caresser le visage. Souffler lentement le long de son cou. Ses yeux avaient une vision floue qui la faisait souffrir. Mais, lorsque, machinalement, elle passa une main dans ses cheveux, ça s'estompa un instant. Elle ne comprit pas immédiatement, mais elle les releva, puis les attacha avec un ruban clair qui était étalé sur le sol. Elle voyait parfaitement bien, mais également derrière elle.. Sa vue était totalement uniforme et complète, rien de ce qui l'entourait ne lui échappait. Pourtant, la première fois qu'elle était venue, ce sentiment ne l'avait pas atteint...

     

    Derrière elle flottaient quelques bulles gazeuses. A l'intérieur d'elles se trouvait... sa chambre ? Et celle qui était à sa place, c'était Nìniel, entourée de ses feuilles en lambeaux, de stylos, et de livres.

     

    « Luna, tu m'entends ? S'écria la jeune fille. »

     

    La demoiselle poussa un cri de stupeur. Elle passa une main sur ses oreilles, découvrant qu'elles étaient recouvertes d'un lourd casque. La voix de son alter-ego résonnait à l'intérieur.

     

    « Oui, un peu trop à mon goût...

    _ Oh, pardon, s'excusa-t-elle en baissant la voix. Je ne sais pas exactement quelle tonalité employer pour te parler quand tu es là-bas.

    _ Là-bas ? Mais, où est-ce que je suis ?

    _ Dans mon monde. Je l'appelle « Le miroir ».

    _ Il est plutôt triste...

    _ Tu trouves ? J'y suis habituée. »

     

    Un double de Nìniel s'était matérialisé derrière Luna. La remarquant, troublée, la demoiselle se retourna brusquement. Tout comme Luna, elle n'était ni dans son corps ni dans le miroir. Plutôt quelque part entre les deux. Elle était pourtant loin d'être perdue, même si physiquement elle n'existait pas. Comme si son corps était... mort.

     

    « Ici, j'ai accès à tout n'est-ce pas ?

    _ Oui. Mais en même temps à rien. Tu vois et entends tout. Mais tu ne peux rien faire.

    _ Plutôt frustrant.

    _ Au contraire... murmura-t-elle devant le désarroi de son amie. Tu comprendras. Je suis désolée, mon monde ne doit pas te paraître très accueillant. Mais en fait, il est vaste. Très vaste.

    _ Ça va, arrête de t'excuser. De plus, c'est à moi de le faire, marmonna Luna alors qu'à son tour Nìniel ne la suivait pas. Tu as dit que je ne pouvais rein faire, mais en fait c'est plus compliqué que ça, n'est-ce pas ? Nous ne sommes, chacune, ni dans Miroir ni dans le monde ''réel''. Comme si nous n'existions pas, mon corps ne tiendra peut-être pas longtemps. Ne t'inquiète pas pour moi. »

     

    Un étrange sentiment élargit les lèvres de Nìniel. Elle ne savait pas vraiment pourquoi.

    Luna ne l'avait pas remarqué, mais depuis le début elle écrivait. Même lorsque son double parlait, bougeait, de son côté elle ne bronchait pas. Des dizaines de feuilles qu'avait utilisé Luna auparavant l'entouraient, et elle les lisait. Comme si elle n'avait pas besoin d'observer ses feuilles pour écrire.

     

    Luna avait peur de s'enfoncer dans ce monde qui lui était inconnu. Elle s'assit un moment et attendit. En silence. Elle avait le sentiment que son cœur se remplissait de la couleur des murs de jais. Qu'il se faisait consumer. Autour d'elle flottait toujours les bulles-miroirs qui reflétaient les écrits de Nìniel. En le lisant, Luna se mit à trembler. Ses récits étaient maladroits et impersonnels, la laissaient indifférentes. Les textes de Nìniel par contre la chamboulaient. Elle choisissaient ses mots rapidement, mais ils étaient placés à la perfection. Devant les textes de la novice, Luna voulut pleurer. Des émotions nouvelles la chamboulaient. Plus puissantes que lorsqu'elle même avait écrit la première fois, plus forte que la peur ou que la tristesse. Comme un mélange inépuisable de tous les sentiments qui avaient disparu de l'esprit de Luna. Elle était sûre que Nìniel ne savait pas.. Non. Elle n'était sans doute pas consciente de ce que ses mots dégageaient. De ce qu'ils faisaient ressentir.

     

    Luna sentit ses forces s'abandonner aux phrases puissantes et riches en sensations. Elle sentait les larmes glacées ruisseler sur ses joues. Elle passa une main vive dessus. Rien. Elle la regarda, puis sentit ses joues, pas la moindre goutte d'eau.

    Une coulée de larmes fusionna avec l'encre bleutée des lettres de Nìniel. Elle ne connaissait pas ce sentiment.

     

    « Luna ? Ça n'va pas ?

    _ Hein ? Si, si, je vais bien !

    _ Arrêtons-nous là pour aujourd'hui.

    _ Mais... »

     

    Un son roque retentit dans la pièce. Quelqu'un venait de toquer à la porte de la demoiselle et il entra. Le regard émeraude de Nìniel le figea sur place. Sans s'en rendre compte, elle avait laissé Luna dans le miroir. Comme pour la protéger. Et elle restait là. Elle n'avait pas beaucoup de temps. Luna devait revenir, ou... ou.  

      

     

     

     

     

     

    Chapitre 4 :

     

    Offre moi une chanson

     

     

     

     

     

     

    Masamune se baladait dans des rues pluvieuses. Sa guitare sur l'épaule, il vacillait en même temps que son parapluie se faisait emporter par le vent, comme entrainé dans une danse. Une danse triste et glaciale. Il tanguait toujours sur la gauche, l'épaule qui retenait son instrument de musique. Puis, sur l'autre, il posa son parapluie, puis s'aida à le maintenir grâce à son menton. Il alla chercher dans sa poche un bout de papier qu'il regarda attentivement. Puis, fixement, il regardait les noms de rues et les numéros des habitations alentours. Il tourna alors dans une rue voisine. Sur cette feuille, Kaede lui avait indiqué l'adresse de Luna. Elle lui avait également précisé que, vivant seule, elle ne répondait pas systématiquement à la porte; parce qu'elle n'entendait pas ou qu'elle n'était pas au courant de ce dont il s'agissait. La jeune musicienne avait simplement terminé en ajoutant :

     

    « Elle est presque toujours chez elle, alors n'hésite pas à entrer même si elle ne répond pas ! »

     

    Le collégien hésitait longuement devant les portes. Il se murmurait à lui-même les numéros à mesure qu'il les lisait.

     

    « Treize... quatorze.. quinze... seize ! »

     

    C'était ici. Perdu entre une dizaine d'immeubles semblables. De grands immeubles montés sur sept étages chacun. Il effleura les différentes sonnettes, avant d'appuyer une paire de fois sur celle de Luna. Il attendit. Rien. Il frôla la poignet de la porte grise qui s'ouvrit sous son poids. Masamune regarda autour de lui. Il fut rapidement attiré par un imposant escalier en chêne. Il monta. Lentement. Caressant doucement la rampe brunâtre de sa main.

     

    Suffoquant presque, il finit par gravir le palier du dernier étage. Il n'y avait qu'une seule porte. Il toqua plusieurs fois et se remit à patienter. Plusieurs minutes. De longues minutes.

     

    « Elle répond pas... Est-ce que je dois entrer ? Si ça s'trouve elle n'est pas là et la porte est fermée ! Oui, ça doit être ça. C'est forcement ça.. »

     

    Il effleura la poignet qui, à son regret, s'ouvrit. Discrètement et avec précaution, il entra et commença à marcher le long d'un couloir sombre. Inintelligible, un murmura l'attira devant une porte close.

     

    « Mince... Elle n'est pas seule, je vais juste la déranger... De toute façon je n'aurais même pas dû entrer ! Quel crétin ! »

     

    Puis tout cessa. Même le moindre bruit, tel que celui des frottements de feuilles. Le jeune homme s'avança encore. Ou, plutôt, ses pieds le faisaient marcher sans qu'il ne s'en rende compte. Il colla l'oreille contre le bois.

     

    « Luna ? Ça n'va pas ?

    _ Hein ? Si, si, je vais bien ! »

     

    Le garçon ne savait plus quoi faire. Elle n'était pas seule. Il voulut faire volte-face, mais sa guitare le fit basculer sur le côté. En tombant, il se cogna contre la porte qui s'ouvrit en un bruit sourd. L'adolescente était seule. Elle le fixait avec un regard glacial. Il osait à peine bouger.

     

    « Pardon ! J'ai.. tombé... ma guitare... a glissé et.. et après.. toi... ça s'est ouvert... et... s''empêtra-t-il. Je suis désolée. »

     

    Il sortit en trombe et s'enferma dans le couloir. Nìniel le regardait, perplexe. Tout s'était passé si vite... Il n'avait même pas dû la remarquer. Lui avait-elle fait peur pour qu'il sorte si rapidement ?

     

    « Il est idiot ou quoi ..? dit-elle en faisant rire Luna.

    _ Il ne devait pas s'attendre à ça.

    _ Tu le connais ?

    _ Oui. C'est un ami de Kaede. Mais qu'est-ce qu'il fait là ?

    _ Va le lui demander ! »

     

    Luna reprit possession de son corps. Un peu désorienté par la transformation, elle finit par laisser entrer Masamune qui la dévisageait. Sa jupe était à peine distinguable du large tee-shirt qu'elle portait. Ses jambières, sensées lui arriver aux cuisses, s'étaient repliées sur elles-même; l'une arrivant à son genoux et l'autre ne dépassant pas le haut de ses chevilles. Ses cheveux ébouriffés formaient de légères boucles, et une mèche barrait son visage. Elle passa maladroitement sa main vers sa frange et la fit glisser jusqu'à sa nuque, dévoilant ses grands yeux bleus.

     

    « Euh.. désolé, j' te dérange...

    _ Non, vas-y, dis-moi ce que tu veux, dit-elle avec un sourire qui le calma en partie.

    _ Kaede m'a dit que tu l'avais aidé pour sa chanson, et euh...

    _ Pas d' problème, je fais ça pour quand ?

    _ Et bien, je dois la chanter lundi. Donc le temps de la répéter, d'apprendre les paroles et tout...

    _ Lundi ?

    _ … je comprends que tu n'aies pas que ça à faire, surtout dans de tels délais. C'est pas grave, je m'arrangerais !

    _ Je peux te l'apporter tout à l'heure, où est-ce que tu habites ?

    _ Vrai ?! Oh merci Luna, je te revaudrais ça ! »

     

    Il prit le bout de papier où était inscrite l'adresse de Luna et nota la sienne. En la remerciant encore, il le donna à la demoiselle. Il était sur le point de partir, quand un détail retint son intention.

     

    « Au fait... tout à l'heure tu parlais. Je t'ai entendu.

    _ Je parle pendant mon sommeil ! Mentit-elle. »

     

    Sans prendre le temps d'écouter ses revendications, elle referma la porte derrière lui et retourna dans sa chambre.

     

    « On l'a échappé belle, souffla Nìniel.

    _ Vu l'impression que je lui ai fait, reprit Luna en regardant ses vêtements, il ne risque pas de revenir !

    Nìniel, tu as déjà écrit une chanson ?

    _ Non.

    _ Tu t'en sens capable ?

    _ Je ne sais pas. Ça a l'air amusant.

    _ D'accord. »

     

    Masamune rentrait chez lui en se frappant la tête. Il gambergeait depuis plusieurs minutes dessus. Stupide. Il était vraiment stupide. Mais au moins, Luna allait écrire sa chanson. Elle lui sauvait la vie. Littéralement.

     

    Il arriva devant chez lui. Une imposante maison s'ouvrait à lui.

    Dans sa chambre, le thème de la musique dominait tout. Un mur entier était remplit de partitions et d'accorts. Une batterie était exposée à l'angle. A côté d'elle, il plaça sa guitare. Son lit était entouré de plusieurs montagnes de CD, haut-parleurs et d'un amplificateur. Son bureau était lui aussi enseveli par des feuilles de papier et un ordinateur portable noir.

    Au milieu de la pièce, Kaede était assise, grattant quelques notes sur sa guitare.

     

    « Ça s'est bien passé ? demanda-t-elle en dessinant un sourire sur ses lèvres.

    _ Elle a dit qu'elle m'apporterait ça tout à l'heure.

    _ Impressionné, hein ? C'est vrai que Luna est très douée pour ça, donc plutôt rapide.

    _ Oui... lâcha-t-il en prenant le soin de lui cacher qu'il l'avait dérangé. Sinon toi, et si tu m'faisais écouter ta chanson ! »

     

    Kaede n'avait fait entendre sa chanson à personne avant. Ni l'air qu'elle avait choisi, ni les paroles de Luna. Elle rougit timidement. Et si sa mélodie ne collait pas au texte ? Pourtant, elle avait déjà fait ça plusieurs fois. Et, avec Masamune, ils avaient l'habitude de toujours se faire écouter leurs compositions. Elle se lança.

     

    Le fond virtuose de guitare... Les paroles oniriques de Luna... Parfait. C'était parfait. Si le collégien fermait les yeux, il y était. Presque. Mais c'était.. tellement proche de le transporter qu'il tremblait. Kaede avait réussi, il était vraiment ailleurs. Seul avec elle. Il ne bougeait plus. Il ne disait rien. Il écoutait Kaede, ne se lassant d'aucune note, d'aucun mot.

    Lorsque la demoiselle finit de jouer, elle regarda Masamune. Elle tentait de fuir son regard, mais elle attendait également impatiemment d'avoir son avis. Mais il se taisait. Elle voulait, non, elle devait feindre ce silence.

     

    « Les paroles sont superbes, hein !

    _ C'était.. c'était génial Kaede !

    _ Tu en rajoutes.

    _ Du tout, reprit-il sans réfléchir, c'était bluffant.

    _ Tu veux essayer ?

    _ Tu veux te faire ridiculiser ma p'tite ? demanda-t-il avec un rictus machiavélique.

    _ C'est ce qu'on verra ! s'écria-t-elle. »

     

    •••

     

    Luna sonna à la porte de la grande maison.

    Cela faisait environ deux heures qu'il lui avait demandé de lui écrire une chanson. C'était la première fois de Nìniel, elle voulait faire de son mieux. Mais, ni elle ni Luna ne s'y connaissait vraiment là-dedans...

     

    Elle sonna. Une femme lui ouvrit la porte, et, après qu'elle se soit présentée, elle la conduisit jusqu'à la chambre de son fils. Personne ne lui répondit lorsqu'elle toqua. Elle réitéra son action, mais sa tentative fut vaine à nouveau.

     

    Guitares et partitions à la main, Kaede et Masamune étaient endormis sur sol. La demoiselle se demanda comment, par leur position ridicule, ils étaient parvenus à trouver le sommeil. Ses lèvres dessinèrent un sourire sur son visage, et elle s'avança vers sa vieille amie qu'elle réveilla... au bout d'une dizaine de minutes d'acharnement.

    La musicienne redressa son instrument, s'assit et regarda autour d'elle en se frottant les yeux. Luna, gênée, désigna du doigt le jeune homme endormi. Kaede prit une profonde inspiration, suite à quoi elle se rapprocha en silence de l'oreille de son ami. Lentement. Calmement. Discrètement, avant de...

     

    « MAAA-SA-MUU-NEEEE !! s'écria-t-elle de ton son soûl. »

     

    Il se réveilla en sursaut et tourna les yeux vers les deux demoiselles qui lui souriaient avec traitrise. Il faillit ne pas reconnaître Luna. Ses cheveux étaient parfaitement ordonnés, tout comme ses collants et ses bottes, qui différaient de ses jambières négligées, quelques heures plus tôt.

     

    « Déjà fini ?

    _ Oui. Tu n'avais pas confiance ?

    _ Si. Mais tu as été rapide. »

     

    Avec un regard étonné, elle lui tendit la feuille avec ses paroles.

     

    « J'avais un doute sur la taille, je sais pas si ça suffit, avoua-t-elle alors qu'il était déjà en train de lire.

    _ Tu rigoles ? C'est parfait.. »

     

    Il attrapa rapidement son instrument et se mit à jouer. Tout ce qu'il avait toujours voulu dire était là, nettement. Lui qui avait tenté tant de fois de fuir l'écriture de paroles les trouvaient désormais parfaite. Elles s'incluaient parfaitement dans la mélodie lorsqu'il commença à chanter...

     

    « Dans ce monde où se confondent ombre et lumière,

    Mes souvenirs éparpillés sont devenus des faiblesses.

    Dans ma tête, seule une horloge tourne sans repère...

    Ce sont les aiguilles du temps qui me blessent.

     

    Des bribes lumineuses volent autour de mon corps.

    Mais ce n'est qu'un puzzle incomplet et cassé

    Qui me suit depuis ce monde qui s'endort.

    Malgré tout, une voix me hurle de me rappeler...

     

    Comme tombé du ciel, désormais je suis perdu.

    Aide moi, ramène moi dans notre univers étoilé.

    Aide moi, pour que je continue à jamais de briller.

    La terre est un trop triste endroit que je regrette d'avoir vu...

     

    Ce paysage lunaire m'offre des pensées torturées

    Qui se perdent dans des murmures terrifiés.

    La Terre m'a-t-elle déjà encerclé ?

    Peu importe combien je cours, je suis déjà prisonnier !

     

    Mes jambes s'affolent, mais, pourquoi ?

    Les poids de ma vie est déjà trop lourd pour elles...

    Pourquoi ne poses-tu pas sur moi tes grandes ailes

    Et, pleine de vie, ne m'emmènes-tu pas loin, avec toi...

     

    Comme chassé du ciel, je me suis même perdu.

    Aide moi à retrouver le chemin de notre univers étoilé

    Aide moi, je ne veux pas m'arrêter de briller !

    La Terre est un trop triste endroit que je regrette d'avoir vu...

     

    Un liquide rouge coule sans cesse du dessus,

    Mon œil fermé ne le voit même plus...

    Pourtant le ciel bleu ne verse aucune larme,

    Alors, qu'elle est cette eau rouge qui susurre mon âme ..?

     

    Cela fait plusieurs minutes et mon corps, déjà, a succombé.

    De ma main je tente d'attraper mes derniers souvenirs,

    Mais j'ai déjà compris pourquoi ils ont préféré fuir.

    S'il vous plait, ne m'emportez pas, fragments oubliés...

     

    Comme rejeté par le ciel, désormais je suis perdu.

    Dis-moi si notre univers étoilé m'a effacé,

    Dis-moi, pourquoi dois-je m'arrêter de briller ?

    La Terre est un triste assassin qui ne me verra plus...

     

    Comme effacé du ciel, une étoile je ne suis plus. » 

     

     

     

     

     

     

     

    Chapitre 5 :

     

    Ailes de jais

     

     

     

     

     

    Masamune finit sa tirade par une minute instrumentale. Kaede le regardait, avec une mine qui mêlait à la fois surprise et plénitude. Elle en était sûr, il réussirait en tant que musicien. Pour sa chanson et pour sa vie. Toujours. Son don était dépourvu d'incertitude. Personne ne se posait de question, tout le monde avait trouvé la réponse. Elle était évidente.

    Luna sourit. Nìniel versa une larme carmin dans la rivière du miroir dont l'onde ne fit que s'accroître en s'éloignant d'elle.

     

    « Ta chanson est mieux que la mienne ! s'indigna Kaede.

    _ Telle chanson tel musicien, tu ne crois pas ?

    _ NON ! »

     

    En silence, la jeune poète fit volte-face. Elle n'avait rien à ajouter, elle souhaitait juste rentrer chez elle, ce qu'elle fit.

     

     

    Face à face. Égales comme face à un miroir. Dans ce monde invisible deux jeunes filles se tenaient assises, le menton sur les genoux fléchis; Luna et son casque difforme par-dessus ses cheveux levés et attachés pour lui offrir une vue à trois cent soixante degrés, et Nìniel égale à elle même. Ne changeant pas mais dominant tous. C'était son univers, et elle en était la souveraine absolue. Luna, elle, n'était qu'une invité... Du moins, c'était ce qu'elle pensait.

     

    « J'ai eu une idée, Nì. Tu écris énormément mais personne ne peut lire tes textes. Personne à part moi.

    _ En quoi est-ce un problème ?

    _ C'est un problème car ton travail n'est pas reconnu. Mais sur Internet, tu pourrais te créer un site où tu posterais tous tes textes. Et là, tout le monde pourrait les lire ! Et aucun soucis d'image, personne ne nous verrait, ni l'une ni l'autre.

    _ Tout le monde... murmura-t-elle.

    _ Oui, tu es d'accord ?

    _ Je te fais confiance, s'enquit Nìniel. Mais comment comptes-tu t'y prendre ?

    _ En fait j'avais déjà commencé, avoua Luna. »

     

    Sur les explications de son hôte, la gardienne de l'autre monde fit apparaître un ordinateur. La terrienne le prit dans ses mains avant d'aller se placer aux côtés de son amie. Elle l'alluma et pianota sur quelques touches du clavier. Une bannière écarlate remplis de plumes de jais portait une inscription que Luna lut, accompagnant Nìniel dans sa lecture.

     

    « Le ciel de Nìniel »

     

    Continuant sa navigation, la collégienne fit découvrir à l'auteure le site qu'elle lui avait créé. Une catégorie pour tout, sa trentaine de textes avait sa place. Tous. Ils n'attendaient que son approbation pour que Luna les mettent en ligne. Et alors... Et alors elle saurait.

     

     

    •••

     

     

    Luna jeta son short à terre avant de revêtir la jupe de son uniforme. Sans relâcher le peu de vitesse qu'elle avait, elle saisit le bas de son Tee-shirt et le releva en croisant ses bras. Elle l'envoya en l'air à son tour et enfila sa chemise.

    Elle n'eut passé que cinq minutes à s'habiller qu'elle se précipita hors de sa chambre en passant à peine un revers de main dans ses cheveux ébouriffés. L'adolescente enfila ses bottes sur ses collants noirs sans daigner s'assoir puis empoigna son sac en oubliant de changer ses cahiers à l'intérieur. La collégienne passa un manteau sur ses épaules qui suffisait à peine à la protéger du froid et traversa la porte d'entrée.

     

    « Je toucherai plus jamais à un ordinateur de ma vie ! songea-t-elle en dévalant les escaliers. Toute la nuit dessus, et dans le Miroir en plus, tu m'étonnes que j'me sois pas rendue compte de l'heure !

    Courage Luna, plus que six étages à descendre. »

     

    Lorsqu'elle arriva enfin au rez-de-chaussée de son immeuble, elle déclencha l'ouverture de la porte qu'elle franchit sans se retourner. La glace s'amoncelait sous ses pas furtifs; qu'elle glisse, tombe, ou halète, il était hors de question pour elle de s'arrêter maintenant.

    Le pont l'éborgna à plusieurs reprises tant il la faisait perdre pied. Elle se laissa alors rouler sur quelques mètres de neige, entreprit un virage sur sa gauche - qu'elle réussit en titubant presque - et se raccrocha au mur. Un labyrinthe de ruelles la séparaient encore de son école. Luna en traversa la moitié en courant à la même vitesse que celle qu'elle entretenait depuis le départ. Mais un minuscule bonhomme de neige réalisé par les enfants du quartier la fit trébucher et elle se cogna contre un échalas. Le souffle coupé et les muscles agonisant elle continua son ascension qui, bien que singulière, lui semblait étonnamment périlleuse à cause du givre qui offusquait ses pas.

     

    La demoiselle finit par traverser la grille de Kimuko et, à l'ultime seconde, rejoignit sa classe. Sans pouvoir aligner deux mots de salue à ses amies, elle se rua vers sa place où elle laissa choir sa tête entre ses bras. La sonnerie qui suivit résonna dans sa tête comme un gage de réussite. Elle sourit.

     

    « Toujours aucun visiteur sur ton site ..? s'inquiéta Luna en somnolant sur son siège.

    _ Non. »

     

    Ni l'une ni l'autre ne prêtait la moindre attention au cours. Luna trop fatiguée pour se refuser le plaisir de dormir, Nìniel ne quittant pas l'ordinateur des yeux. Zéro. Rien d'autre n'était affiché sur la page des statistiques. Rien hormis ce chiffre qui se riait d'elle.

    Cela lui importait peu, le nombre de personnes. Ce qui la dérangeait en revanche, c'était le temps passé à Luna pour faire ce site. Des heures à travailler et... personne n'allait le voir ? Elle ne pouvait pas accepter ça, certes, mais elle ne pouvait rein faire de mieux. Rien d'autres qu'attendre. Elle détestait ça.

     

    « Pardon Luna.

    _ Hein ?

    _ Personne ne voit ton travail.

    _ Personne ne voit le tien non plus, Nì. Attends. J'arrive. »

     

    La fillette laissa son corps s'étaler négligemment sur sa table et rejoignit le Miroir. Elle reprit une seconde ses esprits et s'assit aux côtés de Nìniel.

     

    « En fait, il faudrait faire de la pub sur Internet.

    _ De la pub ?

    _ Oui, pour que les gens soient nombreux à venir sur ce site et à lire tes textes.

    _ Mais comment on doit faire ?

    _ E-Euh.... Bah on peut faire le tour de réseaux sociaux ou de forum et y présenter ton site ! proposa la jeune fille en fermant la page de l'ordinateur et en en ouvrant une autre. »

     

    Cela faisait déjà deux heures que les adolescentes avaient commencé leur navigation à la recherche de visiteurs. Et pourtant, seuls cinq visites avaient été annoncés sur le site, dont deux de Luna et Nìniel. En désespoir de cause, la brunette reprit son corps lorsque la sonnerie retentit dans le collège.

     

    « Hey, Luna ! s'écria Shino en la voyant arriver.

    _ Salut, lâcha-t-elle.

    _ Encore merci pour l'autre fois, j'ai chanté ta chanson et tout le monde l'a adoré... lui avoua Masamune.

    _ Non, c'est normal.

    _ … je te revaudrais ça, promis !

    _ Bah écoute, si tu peux faire fondre la neige je suis prenante, plaisanta Luna.

    _ Ah mais d'ailleurs, t'as pas mis ton écharpe ? demanda Kaede.

    _ Je l'ai perdu il y a quelques jours, j'ai pas eu l'temps d'en racheter une. »

     

    Impossible. Comment pouvait-il avoir cette pensée ? Pourtant il ne l'avait pas bien vue, cette fille. Mais tout comme Luna elle avait les cheveux courts et châtains; comme Luna elle était dans son école, et comme Luna elle avait perdu son écharpe.

    Impossible. Comment aurait-il fait pour ne pas la reconnaitre ? Ce ne devait être qu'une coïncidence. Il était sûre que ce n'était pas Luna. Mais qui était-ce ? Il devait savoir. Maintenant.

     

     

    •••

     

     

    Les jours se déroulent très lentement. Une seule visite vint s'ajouter aux cinq autres sur le site de Nìniel. Luna, de son côté, avait dû rattraper les cours qu'elle n'avait pas prit lors de la matinée où elle avait fuit dans le Miroir; et Masamune... Il attendait. Le jeune homme avait prit sa décision, il suivrait Luna et il découvrirait ce qu'il s'est passé.

    Il était peut-être fou, ou du moins c'est la pensée qui venait régulièrement titiller ses lèvres ces derniers jours. Il était fou. Que croyait-il ? Que Luna cachait un secret ou quelque chose qui s'en approchait ? Elle avait juste dû perdre son écharpe en courant. Kaede lui avait même expliqué que son amie s'était faite agresser ce jour-là juste à côté du pont et que...

    Le pont. C'était dans la rue qui juxtaposait le pont qu'il avait vue l'adolescente courir et son écharpe tomber.

     

    « Pendant une dizaine de minutes elle s'est évanouie dans la neige. Quand elle s'est réveillée ses agresseurs n'étaient plus là, lui avait-elle confié. »

     

     

    Peut-on courir après être tombé dans les pommes et resté plusieurs minutes allongé dans la neige ? Et si ce n'était pas elle, aurait-il pu ne pas la voir évanouie par terre ? Quant à la fillette qui avait perdu son écharpe, comment aurait-elle pu passer à côté ?

    Il était fou. Il était fou mais il en aurait le cœur net. Masamune avait décidé, il la suivrait.

     

     

     

     

     

     

     

    Chapitre 6 :

     

    Je jure solennellement

     

     

     

     

     

     

    « Écoute mon garçon, commença un policier en haussant le ton pour y ajouter une pointe d'autorité, ici on a pas le temps pour tes bêtises ! Il y a des affaires sérieuses qui nous attendent, tu n'as pas le droit de...

    _ Mais je ne mens pas ! s'écria Masamune en sortant à son tour du bureau. Je l'ai vu, je l'ai entendu, je le jure !

    _ Où sont tes preuves ? Tes témoins ? Qui peux prouver ce que tu affirmes ?

    _ J-Je…

    _ Au revoir, finit l'homme en fermant sèchement la porte devant l'adolescent.

    _ Dans ce cas je le prouverai. »

     

     

    •••

     

     

    Le corps de Luna était allongée sur son lit. Sans mouvement. Sans vie. Comme mort.

    Masamune observait la scène de l'arbre où il s'était perché, et se demandait s'il devait ou non y remédier. Peut-être qu'elle dormait, peut-être était-elle évanouie. Dans tous les cas il ne pouvait rien faire. Rien d'autre qu'attendre et espérer.

     

    « Masamune, tu es un crétin ! se répétait-il. Nan mais franchement, qu'est-ce que tu fous assis sur ton arbre là ? Et en plus, j'sais absolument pas comment je vais faire pour descendre ! »

     

    Le jeune homme était tellement occupé à parler avec sa solitude qu'il eut faillit oublier la raison de sa présence -aussi étrange fut-elle. Son regard se riva de nouveau sur la fenêtre ouverte de l'adolescente.

    Brutalement, le corps inanimé de Luna s'éleva en avant tels les membres de bois d'une marionnette. Son regard livide se chargea de pigments verts, et une aura blanchâtre entoura son corps tout entier. Ses cheveux se rembrunirent, son corps s'affina. Ces actions étaient si secondaires qu'éblouis par la lueur de Nìniel, Masamune dû clore ses yeux un moment.

    La jeune habitante du miroir prit quelques feuilles entres ses doigts, un stylo, et commença à écrire. Sans bouger d'autres parties de son corps que ses mains. Ses yeux émeraudes ne se détournaient pas eux non plus, pas plus que ses membres ne s'engourdissaient. Cela dura plusieurs paires d'heure sans qu'elle ne daigne effectuer un autre mouvement que ceux qui étaient assignés à l'écriture.

     

    Le quart de la journée passé, Luna récupéra ses facultés. La nuit tombant elle alla fermer la fenêtre. Masamune était déjà partis.

     

     

    •••

     

     

    Kaede connaissait le ténébreux depuis des années, pas une fois il n'avait séché les cours. Pourtant... depuis une semaine il ne venait plus à l'école, ni au club de guitare. Il ne répondait ni au téléphone, ni aux mails. Combien de fois s'était-elle rendue chez lui pour s'assurer qu'il aille bien ? Elle ne le savait pas. Elle ne savait plus.

    Shino, elle non plus, ne se joignait plus aux discussions de Kaede et Luna. Alors que la jeune fille présentait l'image d'une élève modèle, au fond... Au fond il n'y avait plus rien. La nuit dernière, elle avait prit quelques affaires et était partis de chez elle. Elle s'était glissée dans le froid et avait couru. Loin.

     

    « Allô ? demanda l'auteure en décrochant son téléphone.

    _ A-Aide moi Luna.. J-Je...

    _ Shino ?

    _ J-Je suis partie de chez moi depuis hier et... Et je me suis peut-être perdue, et... Il fait froid. trembla-t-elle.

    _ Où tu es, là ?

    _ J'sais pas exactement. Il fait tellement sombre... Y a comme de grands bâtiments abandonnés qui relient une forêt.

    _ OK, bouge pas. J'arrive ! raccrocha Luna. »

     

    L'adolescente enfila bottes et manteau et sortit en trombe de chez elle. Elle ne savait pas comment, mais son amie avait réussi à atterrir de l'autre côté de la ville. Elle était si éloignée qu'elle se demandait quand elle pourrait arriver.

    Dans la danse qu'improvisaient ses jambes chancelantes, son corps vacilla. Elle n'était vraiment pas faite pour l'endurance, depuis le temps qu'elle se le rabâcher !

    Nìniel allait prendre la relève, revêtir le corps de Luna et...

     

    « Qu'est-ce que tu fais ? l'interpella une voix derrière elle.

    _ Je cours, le remballa-t-elle sans s'arrêter.

    _ Luna ! S'écria-t-il quand elle se stoppa, reconnaissant cette voix.

    _ Masamune ? Écoute, je suis désolée mais j'ai pas le temps de te parler là. Quand je rentrerai chez moi je te l'écrirai ta chanson, promis. Sans rancune ?

    _ Je ne suis pas venue te demander une chanson mais des explications.

    _ Bah pour écrire il faut aligner des mots, ça te va ? Allez, sa...

    _ Non. Je vais être clair.

    _ Hein ?

    _ Il y a deux personnes en toi. Il y a toi, Luna. Et il y a l'autre, celle qui a écrit ma chanson.

    _ Et le père Noël danse la salsa, t'as finit ?

    _ Presque, s'enquit-il. Tu as perdu ton écharpe sur le pont lorsque tu t'es faite agresser, à ce moment là je n'avais pas compris ce qu'il s'était passé. Mais finalement, tu m'as aidé à comprendre. Lorsque Luna a perdu connaissance, la seconde partie de toi a pu contrôler ton corps. C'est elle que j'ai vu fuir, elle qui a perdu ton écharpe, elle qui ne devrait pas exister.

    _ Tu es fou, cracha-t-elle en s'apprêtant à partir.

    _ J'ai des preuves. »

     

    Luna resta fixe sur le sol à le regarder. Les yeux à la fois remplis de colère et de peur. Des yeux qui, bientôt, disparurent lors d'un éclat verdoyant. Nìniel reprit sa route et la traversa sans se poser la moindre question.

     

     

    L'adolescente avait finalement retrouvé Shino, et, l'aidant à se tenir debout, l'avait emmenée jusque chez elle. L'une comme l'autre frissonnaient devant les boissons chaudes que l'habitante des lieux avait été chercher.

     

    « Je suis désolée, Luna.

    _ Tu n'as pas l'être. Tout le monde a une raison à chacune de ses actions. Si tu le souhaites, je peux écouter la tienne. Je ne te forcerais pas.

    _ Merci.

    _ Tu ne me déranges pas Shino, mais ça risque d'être compliqué par ici pendant un moment. Alors fais attention à toi. Vraiment attention. »

     

    La demoiselle esquissa une grimace d'incompréhension, mais, déjà, Luna n'écoutait plus. Dans l'immédiat, tout ce qui lui importait étaient les paroles de Masamune... Elles lui arrachaient le cœur et envoyaient toutes ses pensées se propulser sur les murs tant elles se torturaient. « Des preuves » ? De quoi voulait-il parler ? De toute façon, personne ne pouvait le croire. Si ? Non, définitivement, c'était impossible. Mais s'ils l'apprenaient, que feraient-ils à Nìniel ?

     

    « Fais comme chez toi Shi, je vis seule de toute façon. Bonne nuit. »

     

    Elle ouvrit puis claqua la porte de sa chambre, en à peine une fraction de seconde, et ouvrit la fenêtre. Un vent glaciale balaya ses cheveux et fit frissonner son corps, mais... Mais elle ne ressentait rien.

     

    Le soleil se faisait dangereusement désiré tant le froid avait prit possession de la ville. Toujours penchée vers le vide, Luna avait endossé un pull, son manteau et enfilé ses bottes. Ses bras se mirent alors en appui contre le rebord de la fenêtre, et elle faufila une de ses jambes dehors. Puis l'autre. Une fois assise elle prit un instant pour contempler la vue qu'elle n'avait jamais assez regardé.

     

    « Je suis vraiment trop bête, c'est une fois que je perds tout que je me mets à l'apprécier, songea-t-elle. »

     

    Le ciel ébène régnait sur le monde, parsemé d'éclats brillants, comme si, un jour, quelqu'un avait réussi à s'en approcher et à les peindre dessus... Quand Luna l'atteindrait-elle ?

    Nìniel était contente de voir un ciel lumineux, les cieux nus de ses histoires la rendaient tristes et nostalgiques. Elle, tout comme Luna, aimait les étoiles.

    La vue qu'offrait un immeuble était si banale qu'elle tira une larme à Luna. Pour la dernière fois, elle aurait voulu voir autre chose que des appartements alignés.

     

    C'est alors que, sans crier gare, un corbeau vint se poser sur le toit voisin. Elle l'avait trouvé, son souvenir. Celui qu'elle ressentirait et auquel elle repenserait quand ça n'irait pas. Oui, cette vision la rendait heureuse. Cela lui rappelait une chanson qu'elle se mit à fredonner lorsque, d'un mouvement souple, elle se retourna et tendit bras et jambes. Ces dernières se mirent à se balancer avec le souffle de vent et celui de la musique. Son pied atterrit sur le rebord d'un balcon voisin. L'autre le rejoignit et, tortillant son corps, Luna finit par le faire rejoindre l'étage du dessous.

    Une fois arrivée au dernier, elle sauta pour rejoindre la neige qui jonchait le sol.

     

    Ni Luna ni Nìniel ne parlaient. La collégienne avait besoin de réfléchir. Comme de vivre avant que tout cela ne s'arrête, de respirer avant de se jeter à l'eau, de profiter avant de tout perdre. Si la vie était un labyrinthe, elle n'en ressortirait pas.

    Luna trainait paresseusement les jambes sur le chemin qu'elle connaissait par cœur déjà. Elle le connaissait tellement qu'elle n'avait jamais prit le soin de le regarder. Elle arriverait bientôt, alors, à quoi bon ?

     

     

    Après une dizaine de minutes de marche forcée, l'adolescente se posta devant un grand établissement. Nìniel et Luna, comme à leur habitude, lurent ensembles la typographie qui parsemait la façade.

     

    « Maison d'édition ELDAR »

     

    Les larmes écarlates de Nìniel cessèrent, celles de Luna aussi.

     

    « Luna, tu es sûre de toi ? Mais, et toute cette histoire...

    _ C'est une raison de plus de le faire. Peut-être est-ce là notre dernière occasion, tu ne crois pas ? Je ne te laisserais jamais Nì, je le jure.

    _ Luna, c'est du suicide !

    _ Peut-être bien, sourit-elle. »

     

     

    Bien que le soleil ne se soit déjà couché, il était à peine dix-huit heures et l'établissement était ouvert. La jeune brunette prit une profonde inspiration et la relâcha. Cette expiration balaya tout, les doutes, la douleur et le passé. Luna fit un pas en avant, les souvenirs en firent un en arrière. Les deux amies se demandant mutuellement si elles étaient prêtes, les deux âmes en un seul corps, elles entrèrent.

     

     

    •••

     

     

    L'écran du vieux poste de télévision grésilla, se brouilla puis une main s'avança vers lui et l'éteignit. Le policier se retourna alors et, fixant Masamune avec de petits yeux noirs, se gratta le menton d'un air ennuyé.

     

    « Cette preuve est-elle suffisante ?

    _ Certes mon garçon, mais cette preuve n'en est pas une. Rien ne prouve que toi, ou un de tes amis, n'a pas retouché la vidéo, remarqua-t-il en posant les coudes sur la table où était étalée une longue écharpe.

    _ Pourquoi n'interrogez-vous pas les jeunes qui l'ont agressée ? Ils ont bien dû remarquer un changement entre le moment où elle tombait dans les pommes et celui où elle l'a envoyé contre le mur.

    _ Tu crois franchement qu'ils avoueront une telle chose ? rit-il.

    _ Si vous leur affirmez que c'est elle qui était en tord, oui. »

     

    Le jeune garçon fut sortis de la salle, tandis que lesdits voyous y entraient en le dévisageant d'un regard mauvais. Masamune était sûre de lui et de son mensonge. Ils étaient assez idiots pour s'en prendre à une collégienne, alors leur faire croire ça ne devrait pas être une tâche trop dure. Au contraire.

     

    Finalement, Masamune ressortit du poste de police avec une enveloppe marron à la main, remplie de documents. Il sourit.

     

    •••

     

     

     

    « Quel est votre nom ?

    _ Luna Asuma.

    _ Est-ce également votre nom de plume ?

    _ Non. Mon nom de plume est... Nìniel.

    _ Juste ''Nìniel'' ?

    _ Oui. »

     

     

    •••

     

     

    Toutes les informations avaient été vérifiés. Les témoins avaient été traités, et les preuves authentifiées. Une multitude de documents avaient donc quittés le poste de police. Ils avaient tous été transférés vers le centre de recherches scientifiques Kanaruma.

    Masamune avait reçu une copie demandée suite à une fausse excuse, et qu'il s'apprêtait à montrer à Luna. Il se dirigea donc vers son appartement, avant de l'apercevoir qui s'y rendait aussi. Le jeune homme faillit l'interpeller, mais finit, avec la force de l'habitude, par la suivre. Malheureusement pour lui, arrivée devant son appartement, elle s'arrêta.

     

    « Pourquoi me suis-tu ? hurla-t-elle à l'ombre dissimulée derrière un arbre qui se tenait plusieurs mètres dans son dos.

    _ Comment as-tu deviné que j'étais là ?

    _ Mon p'tit doigt me l'a dit, assura-t-elle en faisant sourire Nìniel.

    _ Tu as raison de rire, ce soir tout s'arrête pour toi. Tu ferais mieux d'écouter ce que j'ai à te dire ! accourut-t-il alors qu'elle entrait dans le hall.

    _ Ne me suis pas.

    _ J'ai été voir la police. Elle m'a cru, avoua-t-il alors que Luna frémit quelques instants, tout le dossier, y compris mes preuves et les témoignages de témoin, a été envoyé a une entreprise de recherches scientifiques.

    _ Tu as fait quoi ? S'énerva-t-elle en se retournant.

    _ Ne fais pas cette tête là ! Ça devait bien arriver, tu n'es pas humaine après tout.

    _ Toi... »

     

    Sans qu'elle n'ait à lui demander, Nìniel prêta sa force à Luna qui claque sa porte pour l'ouvrir et, agrippant Masamune par le col, le força à entrer. Ne relâchant pas sa prise, elle le plaqua contre le mur et pressa le poids sur sa nuque. Le tuer. Elle voulait le tuer. Le tuer et le faire souffrir. Rien d'autres. Elle en avait le pouvoir, le pouvoir de son alter-égo à qui elle ne souhaitait pas souiller les mains. C'était une écrivain, ses mots suffiraient. Ses mots le détruiraient. A jamais.

     

    « Ainsi je ne suis pas humaine ?! s'écria-t-elle. Et tu te désignes humain alors que la seule envie que te souffle ton cœur est de me tuer ? Pas humaine... Dis moi, tu n'as aucune idée du pouvoir des mots, n'est-ce pas ?

    _ T-Tu.. m'étrangles...

    _ Où est le problème, je ne suis pas humaine après tout ! Je peux te tuer. Toi aussi... Toi aussi tu m'as tué, tu m'as tué de façon à ce que rien ne puisse faire taire la souffrance. Pourquoi ? Pourquoi ? Répond !

    _ Pour.. quoi... ? »

     

    Il écarquilla les yeux. Pourquoi ? Pourquoi il avait fait ça ? Luna était gentille, elle lui avait écrit sa chanson. Une merveilleuse chanson qui avait reçu tant d'éloges que ça en était devenu gênant. C'était Luna, elle qu'il côtoyait depuis des années. Pourquoi ? Depuis le début il avait raison. Il était fous. Pourquoi ?

     

    « Je te déteste... souffla-t-elle. »

     

    Sans qu'il ne puisse répondre, une porte s'ouvrit et Shino en sortit. Shino... Luna l'avait presque oubliée. Elle n'avait qu'à rester dans cet appartement. De toute façon, l'auteure allait partir. Partir très loin. Là où l'on ne pourrait pas la retrouver.

    Luna lâcha les vêtements de l'adolescent et, une larme déferlant sur les pores de sa peau, elle se tourna vers son amie.

     

    « Pardon Shino. Je ne peux pas rester ici. Je suis désolée de te causer des problèmes, mais tu peux rester, toi. Je pense t'avoir déjà expliqué comment je me débrouillais pour vivre. Je sais que tu vas y arriver, et... »

     

    Un son roque lui glaça le sang. La porte. Quelqu'un venait de toquer à la porte... 

     

     

     

     

     

     

     

    Chapitre 7 :

     

    Sourire perdu

     

     

     

     

     

    La porte. Quelqu'un venait de toquer à la porte. Tandis que la jeune humanoïde se dirigeait vers la fenêtre pour s'enfuir encore, elle arrêta la main de Masamune qui tentait de la retenir.

     

    « Tu m'avais dit que... que tu me revaudrais le service. Rends-toi utile, maintenant, et disparais de l'appartement de Shino. »

     

    L'ordre de Nìniel résonna contre les murs de l'appartement et contre le cœur de Masamune. Lorsqu'il reprit ses esprits, Luna avait disparu.

    Des hommes cognèrent de tout leur poids contre la porte lorsque Shino leur ouvrit. Leur surprise aurait pris un sens si Masamune avait au la décence de se cacher. Or, il était là. Face à la porte, aux côtés de son amie, ne sachant que dire. Ne sachant que faire, qu'avouer.

    Un des agents empoigna un talkie-walkie de sa main droite et souffla quelques mots, sans doute destinés à un de ses supérieur.

     

    « … Il semblerait qu'elle se soit déjà enfuie, continua l'homme, il n'y a que des gamins dans l'appartement.

    _ Cherchez ailleurs, elle doit pas être loin. »

     

    Les deux qui s'étaient aventurés dans l'appartement à la recherche de l'adolescente revinrent à l'entrée, alarmés par les ordres du chef. Fixant Shino sans lui feindre le moindre mot, ils partirent; laissant la porte se claquer dans un râle du vent.

     

     

     

    Luna ne prêtait pas attention au vide sous ses bottes, ni à la chute qui semblait l'avoir attendu pendant tout ce temps. Peu importait, elle atterrirait dans la neige ; elle était dans l'obligation de se dépêcher, avant de se faire rattraper.

    Elle devait partir. Partir et fuir. Loin. Même si une voix criait en elle. Une voix qui lui hurlait de rester. De se battre. Mais jamais elle ne le ferait. Nìniel était trop importante pour qu'elle ne joue sa vie contre le destin. Les mots de l'auteure étaient gravés dans l'âme de Luna et dans son cœur. Son misérable cœur. Si faible... Rien ne les ferait partir.

     

    Lorsque, comme elle l'avait envisagée, elle s'étala de toute ses forces dans une neige glacée, elle laissa une larme couler sur sa joue. La dernière qu'elle laisserait passer. Elle la laissa tourner la page, et, en signe d'adieu, la fit glisser sur ses joues jusqu'à son sourire. Ce faux sourire qu'elle arborait depuis si longtemps...

    Ses jambes l'emportèrent dans une danse de mort. La dernière ? Non, elle n'accepterait jamais que ça se finisse. Pas comme ça. Elle allait partir. Loin, très loin. Dans un endroit où elle deviendrait libre. Libre comme un oiseau dont les vastes ailes se déploient. Elle se déplaçait vite. Très vite. Trop vite sur ce terrain verglacé qui trahissait ses appuis, mais... Mais même si la vie de Nìniel ne tenait plus qu'à un fil, un fil minuscule semblable à une toile d'araignée bercée par les hurlement maladifs du vent, même si elle ne faisait que planer dangereusement au-dessus de la falaise, Luna sauterait et l'atteindrait.

     

     

    •••

     

     

    Un éternuement la sortit de son sommeil.

     

    « Je t'avais prévenu que tu finirais malade, lui souffla Nìniel.

    _ Tu avais une meilleure solution ? »

     

    Elle éternua à nouveau. Combien de temps avait-elle dormi ? Deux, trois heures peut-être. Si elle avait de la chance il n'était pas trop tard. La lumière blafarde des rues s'était éteinte. Seule restait la lune vagabonde. Luna était adossée sous un surplomb, assise sur son sac et recroquevillée dans les plis de son manteau qui, soudain, lui paressait étrangement froid. Glacé. Elle n'avait pas tenu longtemps à la course. Quand bien même, elle avait réussi à se perdre. Sous le commandement de la Fille aux larmes de sang, elle était finalement arrivée dans une autre ville.

    La fuyarde se releva, fatiguée de sa somnolence plutôt que reposée. C'était donc comme ça que se terminait le premier chapitre de l'histoire ? Elle l'accepterait. Que le second l'attende, elle arrive !

     

    « Nì, par où je prends ?

    _ A ta gauche. »

     

    Elle songea à un ultime adieu, qu'elle ne prononça que par un regard furtif vers l'arrière. Grâce à la vision que lui offrait le Miroir, Nìniel pouvait la guider. Les guider vers une nouvelle vie. Elle avait tout de même peur. A tel point que ses jambes manquaient de se dérober sous ses pas. En réalité, elle ne cessait de tomber...

    Dans le courant de la nuit, les deux demoiselles étaient arrivées au centre de cette ville inconnue. Le soleil se lèverait bientôt, les habitants aussi.

     

    « Où on est ?

    _ À Fukui.

    _ Je vois, t'aurais pu choisir une ville qui risquait pas de m'ensevelir sous la neige.

    _ Cite m'en une.

    _ Et bien, eum... Alger ! dit-elle dignement.

    _ Alger ne se situe pas au Japon.

    _ Et alors ? C't'une ville, sourit-elle en tirant la langue. Attend une minute, Fukui, c'est une préfecture, non ?

    _ C'est possible, avoua la fillette en réalisant trop tard son erreur...

    _ Nìniel ?

    _ Oui ?

    _ Tirons-nous ! »

     

    Sans qu'elles n'aient à se concerter, Luna se retira dans l'autre monde en laissant l'auteure prendre les reines de la navigation. Entièrement. Pour la première fois. Ses cheveux se rembrunirent et se raccourcir, ses yeux liquéfiés de blanc réapparurent ornés d'émeraude. Ses vêtements, eux, ne changèrent pas. Ils ne différaient que dans une vraie symétrie, face à un miroir. Les changements furent lents, avant même de changer d'hôte ce corps avait commencé à courir. Courir encore. Mais bien plus vite avec Nì aux commandes.

    Trop tard. La nuit commençait déjà à se retirer sous les effluves nuageuses du soleil caché. Elle s'époumonait, déplaçant ses jambes à s'en rendre folle. C'était insensé, jamais elle ne parviendrait à quitter la ville comme ça. Elle était perdue. Les gens ne découvriraient pas immédiatement qui elle est, mais le moment viendrait où... Non. Pas maintenant. Ce n'était pas le moment d'y penser. Et ce ne sera jamais le moment. Trouver de la nourriture et quoi faire, le reste elle s'en fichait. Nìniel s'arrêta et respira à grandes bouffées, puis elle enfila un capuchon bistrée sur sa tête. Un coup d'œil rapide à ses habits, et elle passa son sac sous son bras. Passer inaperçue, si elle passait inaperçue ça irait. Au moins le temps de quitter la ville... Elle s'assit sur un banc gouttant des restes de givre, et regarda le soleil se lever.

     

    « Luna, nous n'avons pas d'argent c'est ça ?

    _ Et bien, un peu.. Il reste l'argent dont je me servais pour l'appart' et tout ça.

    _ Est-ce qu'on a assez pour un billet de train ou quelque chose qui s'en rapproche ?

    _ Je ne sais pas. Mais nous sommes trop proches de Kyoto, si on le prend maintenant ça sera facile de nous suivre...

    _ Je vois. »

     

    Sans qu'elle ne comprenne, son ventre grogna.

     

    « Qu'est-ce que...

    _ Il y a de la nourriture dans mon sac, la-surprit la collégienne. On ne tiendra pas longtemps avec, mais pour l'instant ça ira. C'est bien que tu restes dans mon corps, ils chercheront quelqu'un qui me ressemble mais ne me trouveront pas.

    _ Il faudra bien que tu y retournes, non ?

    _ Oui, mais tiens toi prête à changer si besoin est. »  

     

    Les commerces avaient ouvert leurs portes,la plupart des maisons alentours étaient éclairées et, déjà, quelques étudiants partaient pour l'école. Luna avait commencé à marcher. Il était hors de question qu'elle reste plantée dans le décor, à s'apitoyer et attirer les regards. Elle était peut-être étrange, se cachant la tête et regardant le sol. Et ici, personne ne la connaissait, paraissait-elle suspecte ? Elle ne savait pas. Mais qu'elle était morte de froid, oui, ça devait se voir. Forcement.

    Elle croisa des collégiennes qui se rendaient en cours, et un pincement au cœur vint la sortir de sa mélancolie. Ça aurait pu être elle, sous ses yeux, se dirigeant gaiement en cours pour voir ses amis. Mais ce n'était pas elle, Shino allait mal, et Kaede perdait son temps avec un traitre.

    Tout à coup, une surprise incommensurable surgit. Le son aigu qu'il provoqua la força à croire qu'il n'était pas un mirage. Son téléphone. Son téléphone était dans son sac. Cet objet qui lui paraissait si ordinaire d'habitude, prenait tout à coup son sens. Elle qui pensait jadis qu'il ne lui servirait jamais. Restait à savoir qui l'appelait.

     

    « Allô ?

    _ Luna ! Tu m'as fait si peur, mais où es-tu ? Je n'arrivais ni à te joindre toi, ni Shino !

    _ Kaede...

    _ Bien sûr, alors tu te caches où ?

    _ Masamune est avec toi ?

    _ Hein ? Non il est pas là non plus, vous avez oublié de m'inclure dans votre jeu ou quoi ? s'indigna la jeune fille.

    _ Kaede, il n'y a aucun jeu, avoua-t-elle, une pointe d'amertume dans la voix. Je ne reviendrais pas. Les autres ne sont pas loin, passe faire un tour chez moi si tu as le temps. Quant à Masamune, il reviendra, c'est certain.

    _ Mais qu'est-ce que tu racontes, ça va pas ? T'es malade ? C'est normal avec ce temps que...

    _ Non. Je ne suis pas malade. Je dois quitter Kyoto, tu m'en veux pas, hein ?

    _ Arrête. Luna, où tu es ?! Luna !

    _ Pardon Kaede, adieu. »

     

    Elle raccrocha. Emprisonnant fermement son téléphone dans sa paume, elle le balança dans la mer.

     

    « Adieu ma vie... »

     

     

     

    Chapitre 8 :

     

    Un pas en avant

     

     

     

     

    Luna s'en souvenait, son téléphone lui avait été offert pour un de ses anniversaires, deux ans plus tôt, par Kaede et Shino justement. Seulement, il ne lui avait jamais vraiment servi. Pas qu'elle n'appréciait pas le geste, mais elle préférait voir les gens en face à face. Et surtout, elle ne voulait pas ressembler à toutes ces adolescentes qui passent leur vie sur leur portable alors que, franchement, elles n'écrivent pas vraiment Français dessus. Pourtant, il était comme un lien. Un lien entre Luna et ses amis. Entre Luna et le monde qui aurait pu l'appeler. Un lien qu'il lui fallait briser. Cette fois-ci elle était vraiment libre. Le lien n'existait plus.

     

    Après une après-midi dont le sens lui avait échappé, l'adolescente s'arrêta dans un supermarché . Ce n'est que lorsqu'elle entra qu'elle se rendit compte qu'elle était inéluctablement perdue entre les allées. Entre les prix. Entre les choix.

     

    « Je suis vraiment la pire des ménagères, pensa-t-elle. Je suis une incapable...

    _ On va juste aller ailleurs Luna.

    _ Oui.. »

     

    La demoiselle reposa ce qu'elle avait dans la main et se détourna du magasin. Elle alla se poser contre un taillis enneigé.

     

    « Nìniel, il faut qu'on parte du Japon.

    _ Tu en as déjà marre de cette vie ?

    _ Si on est au Japon ils pourront nous retrouver, non ? Si on part, par contre...

    _ Es-tu sûre de ce que tu dis, Luna ?

    _ Certaine. Miroir interagit avec le monde, non ? Est-ce que tu crois que c'est possible de...

    _ Je ne sais pas.

    _ C'est pas une réponse, ça.

    _ En théorie, oui. En pratique c'est plus dur. Ton corps ne le supporterait jamais.

    _ Je vois. Prenons l'avion.

    _ Pour aller...

    _ Je ne sais pas.

    _ Luna, ce n'est pas une réponse. »

     

    La demoiselle se mit en route. Sans cesse. Son ombre se mélangea à l'obscurité de la nuit. La ville, peu à peu, s'éteint. L'air se fit plus froid, plus oppressant.

    Quelqu'un la stoppa. Lui agrippant le bras sans en démordre avec ses mouvements, il la retint sur place sans qu'elle ne puisse de dégager. Il la tira à nouveau vers lui, mit une main sur sa bouche et appuya son capuchon pour lui couvrir les yeux. Puis il traina Nìniel dans une ruelle plus sombre... Sans se faire attendre, elle lui empoigna le poignet et le retourna. Elle plaqua le garçon contre le mur et effectua une pression sur ses côtes. Son agresseur se dévoila alors. Luna prit la suite. Elle le lâcha. Un sentiment de colère la secouait et ne put s'affirmer qu'en dehors de ses lèvres. Elle ne faisait plus attention aux mots, elle était consciente de les gâcher, mais pour cette fois elle devait...

     

    « J'y crois pas... tu m'as suivie ?! Réponds moi, qu'est-ce que tu fais là Masamune !

    _ Luna, j'étais pas sûre que ce soit toi avec cette capuche, mais...

    _ Rentre chez toi. Laisse moi. Tu n'es pas satisfait, tu ne m'as pas assez pris peut-être !? s'écria-t-elle d'une voix dure.

    _ Tu ne comprends pas, j-je...

    _ Tu ?

    _ Tu as raison, Luna. J'ai eus tort. Je voulais prouver que j'avais raison et retrouver la fille qui courrait l'autre fois. Ça a dérapé. J'en ai oublié beaucoup de choses, les plus importantes. Pardonne moi.

    _ Jamais.

    _ Mais.. bafouilla-t-il tandis que sa voix venait de se casser.

    _ Masamune, tu as volé ma vie. Je n'ai aucun endroit où aller. Tu sais ce centre où ils veulent m'emmener ? J'ai fait des recherches. C'est un endroit où ils pratiquent des expériences, scientifiques et parapsychiques sur les êtres humains. Entre autre c'est ce qu'ils veulent bien avouer, mais...

    _ Pardon. Je ne savais pas.

    _ Maintenant tu sais. Ils vont me retrouver où que j'aille. Je suis perdue. Même si je vais dans un autre pays, ils le sauront ! Je suis prise au piège, c'est ça que tu voulais voir ? Et bien regarde moi bien.

    _ Je t'assure que je voudrais t'aider, avoua-t-il.

    _ Tu en as beaucoup trop fait. Je te déteste. »

     

    Une larme s'écoula le long de la joue du jeune homme. Oui, il était fous. Il était fous mais...

     

    « Alors tu vas continuer à fuir ?

    _ Comme si je pouvais faire autrement...

    _ Rester dans la rue à trainer, dormir dans le froid. Courir lorsque quelqu'un de suspect te suis. Enfin tu sais te défendre apparemment.

    _ Où veux-tu en venir ? grogna-t-elle.

    _ J'ai besoin de toi.

    _ Quel culot tu as de...

    _ Ils séquestrent Shino ! Ils l'utilisent comme appas pour te faire revenir !

    _ Quoi ?! Déglutit-elle.

    _ C'est pour ça que je t'ai rattrapée ! Juste après que tu sois partie les ''policiers'' ont fouillé successivement ton appartement puis le quartier. Ils ne t'ont trouvé nul part alors... s'arrêta-t-il en voyant Luna se recroqueviller, le visage sur les genoux.

    _ Qu'est-ce que je dois faire ?

    _ Ils ont dit que tu devais te rendre à la police sous une semaine... Ça fait déjà deux jours.

    _ J'y serais... annonça-t-elle d'une voix triste, résignée.

    _ N'y vas pas ! Luna c'est un piège ! Ils vont t'emmener si tu y vas !

    _ As-tu une meilleure solution ?! Bien entendu, c'est un piège ! Pourquoi auraient-ils fait ça sinon ? Je n'ai pas le choix Masamune, arrête de faire comme si ça t'inquiétait.

    _ Ils ont foie en moi. Ils me communiquent leurs plans. Si tu me fais confiance je serais celui qui pourra t'aider !

    _ Et pourquoi le devrais-je ?

    _ Je ne sais pas... »

     

    Il s'en alla et, à nouveau, Luna s'effondra sur elle-même. Non, elle n'était pas libre finalement. Elle était enchaînée et prisonnière. Et elle avait horreur de ça. Son visage était livide et ses pas chancelaient. D'un retour de pas et avec l'aide de Nìniel elle se jucha sur le toit d'un immeuble.

    Elle fixait la voûte céleste.. Le ciel est vide. Dépourvu de couleurs, de vie. Était-il bleu ? Noir ? Un ciel étoilé est la porte vers le monde des morts. Après tout, aucune étoile ne naît en cours de route. Pourtant elle meurent. Et bien qu'elles meurent elles continuent de briller pour nous. Ne sont-elles pas prisonnières de leur rôle ? Comme un contrat s'étendant par delà les limites de la vie...

    Un monde morts aussi brillant, c'est comme un leurre. Car tout est mensonge. Tout comme les réponses ne sont que de plus vastes questions. Rien n'est vrai. Rien n'est faux. Tout est mensonge, mais c'est ça la réalité.

     

    « Je suis lassée de ce monde.

    _ Du monde ou des humains ?

    _ Les deux me sont insupportables. J'aimerai des ailes pour partir loin d'ici. Je suis une étoile captive, railla-t-elle.

    _ Suis-je ton ciel ?

    _ Nì... reprit-elle en s'arrêtant de rire. Ne dis pas de telles sottises ! »

     

    Un silence s'ensuivit et s'installa dans le matelas de neige. Pour plusieurs heures. Luna réfléchissait, en regardant vaguement l'horizon. Elle devait y aller. Shino avait été emportée dans cette histoire de sa faute. Jamais elle n'aurait pu le prévoir, et pourtant...

    N'était-elle qu'une bête de foire ? Sans sentiment. Sans rêve. Était-elle devenue un monstre ? Sans cœur.

     

    Un coup de vent déploya son manteau comme une cape par delà ses épaules. Sa capuche virevoltait mais ne s'ôtait pas de sa tête. Elles devaient être fortes. Fortes et sages. Rien n'était jamais perdu, elles trouveraient un moyen de sortir. Pourtant, le cœur de Luna, si fragile, ne parvenait pas à se calmer.

     

    « Dis, Nìniel, tu veux prendre ma place ? Juste cinq minutes, le temps que... »

     

    Luna s'allongea sur le sol ébène du Miroir. Les cheveux relevés et le casque sur les oreilles ; tout était silencieux. Un fin voile de chaleur vint l'envahir, différent du râlement frigide qu'offrait la Terre.

    Contrairement à tout ce qu'elle s'était promis, elle fondit en sanglots. Elle ne pouvait retenir les énormes larmes qui la faisaient sombrer. Trop dur. C'était trop dur pour elle. Elle devait -elle allait- tenir le coup, mais avant ça elle avait besoin de pleurer. Une dernière fois. Se vider de tous ses sentiments pour se créer une coquille forte. Très forte. Qu'elle ne quitterait plus. Mais avant ça...

     

    Nìniel resta sur le toit. Cambrée contre une cheminée, elle sortit quelques feuilles du sac et commença à écrire des phrases hasardeuses. Fredonnant un mélodie triste et doucereuse, elle se perdit un instant dans ses écrits.

     

    Je n'ai écrit que quelques mots

    Mais je sens que ça ne continuera pas.

    Les mots ne viennent plus à moi ;

    Je ne fais plus que suivre le tempo

    De mon cœur qui vole en éclat. ┐

     

    Nìniel confia sa feuille au vent, qui se chargea de l'emporter loin dans le ciel, sans que sa vue ne puisse suivre. Ce fut sa propre salutation. Mais jamais elle n'aurait fait d'adieu, juste un au revoir. Une promesse de retour au monde de l'écriture.

     

     

    •••

     

     

    La nuit passée, l'adolescente descendit du toit. Encapuchonnée, cachant son visage, elle fit volte-face. Elle rentrait. Était-ce Luna ? Était-ce Nìniel ? Sa démarche était différente. Pleine de conviction et de courage. Pleine de force.

    Un pas en avant.

    La demoiselle l'utilisa pour propulser son corps vers Kyoto. Après être restée si souvent à l'arrêt, s'abreuvant de l'armes et de peur, elle recommença à avancer. Elle ne voulait pas s'arrêter, elle voulait et devait continuer. Nìniel comme Luna, leurs regards étaient tournés vers le même futur.

    Un pas en avant.

    A vrai dire, était-ce un pas en avant ou un pas en arrière ? Elle ne savait pas, mais elle y allait. Et prendre cette décision, affronter le monde, n'était-ce pas grandir ? Mûrir ?

    Un pas en avant.

    Sa marche était gracieuse et assurée, son regard était dur. Un œil bleuté et son confrère verdâtre. Elle était partie. Adieu à son existence confortable, adieu à son insouciance. Enfin elle faisait quelque chose de la vie qui coulait entre ses doigts. Aussi dur allait-elle être.

    Un pas en avant. 

     

    A suivre...


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